La forêt sombre

Après avoir dévoré "le problème à trois corps" de Liu Cixin [1], je me suis plongée dans "La forêt sombre".


On retrouve le personnage de Ye Wenjie au début du roman. Elle rencontre Luo Ji, un ami de sa fille. Il a étudié l'astronomie et enseigne maintenant la sociologie à l'université.

Cosmosociologie 

Ye Wenjie lui suggère alors de se lancer dans des recherches en "cosmosociologie". Elle fait l'hypothèse que l'univers est peuplé d'un nombre colossal de civilisations et décrit ce concept ainsi :
"Ensemble, ces civilisations formeraient une seule et même société cosmique, une hypersociété dont la cosmosociologie aurait pour objet d'étudier les caractéristiques."
Elle dicte à Luo Ji deux axiomes :
  • La survie est la nécessité première de toute civilisation
  • Une civilisation ne cesse de croître et de s'étendre, tandis que la quantité totale de matière dans l'univers reste constante.

Ces deux axiomes vont être exploités dans les 649 pages du roman et aboutir à la résolution du paradoxe de Fermi. Même si l'intrigue est moins prenante que pour le premier volume, même si l'ambiance est très noire dans une atmosphère apocalyptique, la lecture en vaut donc la peine. La démonstration de la solution est brillante.

Qu'est-ce que le paradoxe de Fermi ? 

Ce paradoxe est né d'une caricature d'Alan Dunn dans le New Yorker, le 20 mai 1950, suite à de mystérieuses disparitions de poubelles dans la ville de New York.


Au laboratoire de Los Alamos, Enrico Fermi, se rendait à la cantine avec deux éminents collègues physiciens  Edward Teller et Herbert York quand Emil Konopinski leur montra le dessin. Fermi demanda à Teller quelle était selon lui, la probabilité d'avoir des preuves de voyage supraluminique d'ici 1960. Teller répondit 1 sur 1 million. Fermi pensait que c'était plutôt 1/10. [2]

Au milieu du repas, Fermi s'écria "Where is everybody?". Ses collègues comprirent qu'il faisait allusion aux extraterrestres.

Son raisonnement est le suivant. S'il y a une autre civilisation dans la galaxie, et qu'elle se déplace à 1% de la vitesse de la lumière, en 500 ans, elle atteint les étoiles proches. Elle y reste 500 ans et repart... En 20 millions d'années, elle a colonisé toute la voie lactée. Par conséquent, elle devrait être là ! [3]

Au début du roman "La forêt sombre", l'humanité se prépare à l'arrivée des Trisolariens dans 400 ans, ce qui est de l'ordre de grandeur de ce qu'imaginait Fermi. Nous savons que nous ne sommes pas seuls dans l'univers, mais aussi que l'humanité disparaîtra à moins de remporter la grande bataille.

Quand on est seul dans une forêt...

Le père de SETI, John Billingham [4] a toujours été opposé à l'envoi de messages dans le cosmos. Il avait pour argument, que lorsque l'on est perdu dans une forêt, il ne faut surtout pas signaler notre présence en criant tant que l'on ne sait pas ce qui nous entoure. [5]
Cet argument a été repris par de nombreux autres auteurs, comme David Brin [6]


La forêt sombre de Liu Cixin est évidemment celle de John Billingham. Luo Ji va mener une expérience incroyable pour tester notre voisinage. Il va ainsi vérifier les deux axiomes de Ye Wenjie. En nous baladant pendant 600 pages, Liu Cixin réussit à nous berner comme si nous étions des trisolariens, en n'évoquant pas ou peu la cosmosociologie. 


Un roman sur SETI 

Le paradoxe de Fermi et l'envoi de messages (METI) sont au cœur de ce roman qui ravira scientifiques, astronomes et amateurs des projets SETI. La grande question est "Que savons nous de l'autre ?". Si nous envoyons des messages, si nous écoutons l'univers, ne supposons-nous pas que les intentions de la civilisation qui recevra ou émettra le message sera pacifiste, qu'elle voudra partager connaissance et technologie ? Mais finalement, il y a une chance sur deux qu'elle soit belliqueuse. Si nous recevons un message, c'est que nous avons été repérés. A partir du moment où nous répondons, nous indiquons notre position à l'émetteur. 

De grandes questions philosophiques

L'espèce humaine serait-elle altruiste ? D'autres civilisations connaissent-elles l'amour ? Est-ce parce que nous connaissons l'amour, que nous avons du mal à imaginer des civilisations avancées guerrière ? Est-ce grâce au  sourire énigmatique de la Joconde ? 

Comme le dit l'un des personnages, Ray Diaz, en quittant le siège de l'ONU : 
"Le plus grand obstacle à la survie de l'humanité, c'est l'humanité elle-même" 
On retrouve ce leitmotiv, très présent dans le premier tome. En revanche, s'il était question d'écologie dans le "problème à trois corps", c'est plutôt notre naïveté et notre côté suicidaire qui est mis en exergue ici.

  1. Revue du problème des 3 corps.
  2. Stephen Webb "Where is everybody?"
  3. Seuls dans l'univers, les projets SETI.
  4. John Billingham, 1930 - 2013
  5. John Billingham, James Benford, "Costs and Difficulties of Large-Scale 'Messaging', and the Need for International Debate on Potential Risks"  arXiv:1102.1938 [astro-ph.IM]
  6. David Brin, Shouting at the cosmos

Commentaires