Stéphane Dumas, l'univers pour compagnie

En pleine réunion ce matin, j'ai reçu un email. Il ne faudrait jamais relever son courrier quand on est censé écouter les autres. Mais bon, j'ai toujours du mal à faire une seule chose à la fois.

Ce message de 10h55 venait de Claudio Maccone. Le sujet, improbable : "Loss of a valued colleague and dear friend: Monsieur Stephane Dumas, quebecois." 

Collègue, valeur, ami, québécois... Tous les mots y étaient.

Je ne sais plus quand j'ai fait la connaissance de Stéphane. J'ai un vague souvenir d'un email en anglais à des membres de la SETI League et il m'avait répondu en français en voyant à quel point mon vocabulaire était limité. Il me semble qu'il est venu à pratiquement tous les événements SETI importants en France, ce qui n'est pas une mince affaire quand on sait l'investissement que cela représente, que ce soit en temps ou sur le plan financier.

Septembre 2008 : SETI à l'UNESCO.

Je pense l'ai rencontré pour la première fois en 2008. Un congrès SETI était organisé à l'UNESCO à Paris pendant une semaine. Une centaine de scientifiques se sont réunis pendant une semaine pour parler de recherche de vie dans l'univers. Je m'occupais des événements grands publics qui avaient lieu tous les soirs. 

Le lundi, Jill Tarter a parlé en particulier des antennes du réseau ATA à l'Aéroclub de France.
Stéphane a accepté de venir à la maison pour tous des Amonts, aux Ulis faire une conférence grand-public en français (voir le récit "Unesco deuxième jour").


Le dernier jour, nous avions déjeuné ensemble à l'Estaminet, parlant principalement politique.



Novembre 2011 : Atelier Formule de Drake

Stéphane avait présenté un papier étonnant "La possibilité d'un empire galactique ou un argument contre le paradoxe de Fermi". Il s'interrogeait sur le fait qu'une civilisation puisse maintenir une stabilité sur des milliers d'années. Il prenait en compte divers facteurs, comme la consommation croissante d'énergie et conclut que la seule méthode économique d'explorer la galaxie est par l'écoute et l'envoi de message.

Mars 2014 : 5ième symposium "Search for life signature"

Le texte du message de 10h55 de Claudio Maccone avec pour sujet "Loss of a valued colleague and dear friend: Monsieur Stephane Dumas, quebecois" est le suivant :

Dear Recipients of this message,
The sudden and unexpected passing away of Stephane Dumas is shocking news for all of us working for SETI.
Stephane had given outstanding contributions to the cause of SETI:
1) Implementing a fast version of the KLT code, part of which had been published in 2012 as Chapter 28 of my book "Mathematical SETI", that is attached herewith for you.
Je l'avoue, je n'ai pas ouvert de suite le chapitre 28, sans doute trop choquée par la nouvelle. Il commence ainsi "KLT is a modern data analysis tools—a black box that is widely used but poorly
understood."

Comment dire ? J'ai assisté à des tas de présentations sur la transformée de Karhunen-Loeve (souvent par Claudio lui-même), j'ai commencé à lire un livre sur la KLT avant de le refermer en me disant que j'avais besoin de rafraîchir mes connaissances mathématiques sur les valeurs propres et les vecteurs propres, les matrices, etc... Bref, le "Poorly understood" me convient tout à fait.

En revanche, ce que je pense avoir compris, ce sont les éblouissantes démonstrations de Stéphane à l'aide de simulations en Fortran. Il compare la FFT (transformée de Fourier) et la KLT, pour aboutir à la conclusion que l'on détecterait plus facilement un signal avec un faible rapport signal/bruit avec la KLT.

Mars 2015 : 6ième symposium "Search for life signature"

Le message de Claudio se poursuit ainsi : 

2) Collecting a large Catalogue of SETI publications, dated January 2, 2016, that is attached herewith for you also.
3) He was going to co-⁠chair the SETI II Session at the coming IAC in Mexico.
We will miss him very much.
Claudio
La dernière fois que j'ai croisé Stéphane, c'était au 6 rue Galilé à Paris, en mars 2015. Nous avions échangé pas mal de mails sur deux sujets. Le premier était le fait de déplacer les pages de l'IAA consacrées à SETI (ou pas) sur un serveur web qui permettrait plus de souplesse que le très institutionnel  http://iaaweb.org/
L'idée était de stocker autre chose que la simple présentation des conférences, comme par exemple les articles de celles-ci, dans un lieu qui rassemblerait tout au lieu d'avoir des informations disséminées un peu partout.


Outre les aspects pratiques, cette idée permettrait d'avoir une véritable histoire de SETI. Pendant ce symposium, Stéphane avait donc été très occupé à rencontrer les gens de l'IAA afin d'obtenir des réponses pratiques sur le transfert du contenu du site. 


Dès la fin 2014, il avait cherché à rassembler les références de livres et de publications liées à SETI. Alors que je lui parlais d'Arxiv, de HAL, que je lui posais des questions métaphysiques sur les critères qui permettent de ranger ou non une publication dans la catégorie "SETI", il m'envoyait un fichier xls comportant quelques 4000 références et des questions plutôt précises sur Charles Cros, Camille Flammarion ou le message SETI envoyé en 1987 de Nançay.

Je ne suis point seul, j'ai l'univers pour me tenir compagnie

Le dernier message reçu est celui-là. Le catalogue des publications SETI fait 227 pages. Un travail colossal !


Depuis plusieurs années, il signait ses messages en français "Je ne suis point seul, j'ai l'univers pour me tenir compagnie." Pour moi, il s'agissait d'une réponse à la question "Sommes-nous seuls dans l'univers ?" Réfléchir à un empire galactique, essayer de détecter de faible signaux dans le bruit, n'est-ce pas jouer avec l'univers, l'interroger, le sonder, le taquiner, comme on le ferait avec un ami ?

Il y a toujours une grande convivialité lors des réunions sur SETI, les discussions sont passionnées et passionnantes. Chacun rebondit sur les idées des autres avec des arguments scientifiques, techniques ou philosophiques. On regarde la Lune, mais jamais le doigt...


Lorsque j'ai annoncé le décès de Stéphane sur Facebook et qu'une des réponses fut "Où avez-vous appris cette info?!?! Nous sommes de bons amis et cherchons à en savoir plus... merci", j'ai eu un espoir. Et si ce n'était pas vrai ? Je lui parle du message de Claudio et du profil facebook d'Yvan Dutil. Cette même personne a écrit : "Je viens de le voir par son frère Claude." J'ai pensé qu'elle parlait de Stéphane Dumas, qu'elle venait de le croiser. Non, elle parlait du profil.


Devrait-on s'alarmer chaque fois qu'un geek écrit "Je ne suis point seul", surtout lorsque humainement, c'est quelqu'un de bien, de dévoué ?
Cette signature gardera son mystère...

Je ne suis point seul, j'ai l'univers pour me tenir compagnie

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