L'humour à mort

Hier après-midi, j'ai quitté ma banlieue pour aller voir "L'amour à mort" au cinéma le plus proche de chez moi, à savoir le MK2 Hautefeuille pas loin de la station de RER St Michel.


Un film sur moi, sur nous...

Le documentaire commence par des images de NOUS, oui NOUS,  nous qui étions Charlie, nous qui sommes toujours Charlie malgré les bouleversements récents. Travelling, panoramiques, gros plans sur la place de la République se succèdent. Même si les dates du 7 puis du 11 janvier s'affichent on ne peut s'empêcher de repenser aux victimes du 13 novembre, aux fleurs, aux bougies qui ont remplacé "le peuple" sur cette même place.


Charlie Hebdo, c'est un peu comme la Tour Eiffel, une partie du paysage français. On s'imagine qu'il sera toujours là d'une part, et surtout cela nous ramène à qui nous sommes, aux souvenirs d'enfance qui ne s'effaceront jamais comme la première fois que l'on a vu la Tour Eiffel ou les dessins de Cabu avec lesquels nous avons grandi.



Quand les lumières se sont rallumées dans la salle, j'avais la larme à l’œil. Devant moi, deux dames se sont levées, nous nous sommes regardées, elles étaient dans le même état. Quelle catharsis !
Quand nous sommes sortis du cinéma, il pleuvait à verse. J'ai trouvé ce prétexte pour roder dans la boutique de BD juste à côté.


J'ai parcouru les rayons classés par ordre alphabétique. Tiens "D comme Duduche", y'a rien..
En bas, il y avait un coin dessin de presse. Le bonheur !


"L'humour à mort" nous parle de nous, mieux que tous les vieux débats sur l'identité nationale. C'est l'urgence psychologique à porté de chacun. J'ai beaucoup du mal à ressentir des émotions au cinéma, ou alors, c'est sur des aspects techniques, comme le début du générique de Star Wars VII en 3D. J'ai l'impression que le film met en lumière de profondes fissures, que "nous", les "Charlie" n'avons pas ou peu réussi à voir. C'est un retour à l'esprit franchouillard et fêtard avec les chansons de Tignous. Il y avait longtemps que cela ne m'avait pas amusée d'entendre "mets tes deux pieds en canard..."
Peu importe notre origine, notre religion, nous sommes tous hurlé "la chenille !" Les images d'archives nous replongent dans un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Mais dieux que ça fait du bien !

Tak Tak Tak

Le film revient sur le déroulé des événements. On connait tous. On a entendu en boucle, comme un cauchemar dont on n'arrive pas à se défaire l'arrivée des deux connards dans la rédaction, Coco épargnée sans doute parce qu'elle est une femme, Riss blessé, etc, etc...

Je n'avais pas noté le "Tak Tak Tak" lorsque j'ai lu l'album de Luz "Catharsis". Quand Coco dit, "Je ne sais pas quel bruit fait une arme, ce n'est pas comme dans les films", on comprend que nous non plus, nous n'étions pas préparés, que personne ne l'est et ne le sera vraiment. On a beau recruter des agents de sécurité, mettre des portiques, cela n'empêchera pas deux abrutis de faire "Tak tak tak". 


On s'est tous demandé "Et si elle n'avait pas donné le code... et si j'avais été en 17 à Leidenstadt..." Coco apporte dans le film une réponse bouleversante, non pas par les mots qu'elle emploie, mais par l'amour qu'elle porte à sa fille. Cela m'a rappelé Interstellar. 

Sans ce moteur qu'est l'amour maternel, il n'y aurait peut-être eu aucun survivant. On peut changer le scénario toujours et encore. Si Coco ne sort pas à 11h30, c'est Luz qui arrive un peu plus tard, ou c'est toute la rédaction qui va déjeuner encore après... On a beau mettre toutes les mesures de sécurité, que faire face à des Kalachnikov ? 


Un simple documentaire ? 

Au bout d'une heure de projection de Star Wars VII, j'ai regardé ma montre alors que les plans de quelques secondes se succédaient. Ici, les plans larges succèdent aux gros plans, lentement. On prend le temps d'écouter des hésitations, de s'arrêter sur un dessin qui déclenche des éclats de rire dans la salle, ou de réfléchir sur le sens des mots. Les réalisateurs nous baladent d'un lieu à l'autre, de l'humour à la mort sans que l'on ne s'en aperçoive.

Elisabeth Badinter dit des choses très justes, par exemple, elle explique que si l'on met l'adjectif "antisémite" sur l'hyper-casher, on stigmatise la population musulmane... donc on ne le met pas, on se contente de dire que les juifs sont les bienvenus en France. A un autre moment, elle dit que l'on n'a pas besoin de musulmans modérés, mais de musulmans courageux. J'ai pensé qu'elle faisait allusion à Boualem Sansal, puis le réalisateur a enchaîné avec le portrait de Soufiane Zitouni qui explique pourquoi le prophète est Charlie.


Les récits, les témoignages, les souvenirs s'égrainent de manière cohérente. On a l'impression d'être portés par la foule du 11 janvier vers des croquis, des voix à la recherche d'une découverte de nous-même, de notre passé, de celui de la France. J'ai même cru un instant que François Hollande était sincère en 2007, lorsqu'il était premier secrétaire du PS et a témoigné dans le procès des caricatures de Mahomet, avant de me souvenir que j'étais au cinéma.

Résistons !

Outre le côté cathartique, aller voir "L'humour à mort" est aussi un acte de résistance. Pourquoi sort-il seulement dans 35 salles ? Par peur qu'il tombe sous de mauvais yeux ? J'avais plutôt un sentiment de sécurité au MK2 de Hautefeuille, même si la littérature des toilettes m'a laissée un peu dubitative. 



Je l'avoue, je n'ai pas tout compris. Il me manque un dessin !

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