Le jeu a été proposé par l'astrophysicien Roland Lehoucq : concevoir une planète qui n'est ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Il a passé son bébé, c'est-à-dire sa planète et son étoile au paléontologue Jean-Sébastien Steyer. Il y a déposé une vie qui vient d'ailleurs, qui a évolué, s'est éteinte à 90%. A la manière d'un cadavre exquis, l'archéologue Jean-Paul Demoule a regardé l'intelligence de cette planète observer l'évolution de l'intelligence sur Terre. Enfin, l'auteur de science-fiction Pierre Bordage a imaginé des colonies venues de Terres s'installer non sans heurt sur cette exquise planète.
L'ensemble est plutôt réussi. J'avoue m'être surtout ennuyée en lisant les histoires de sexogrades de Jean-Paul Demoule. Est-ce qu'une civilisation intelligente perdrait son temps à observer les conflits sur Terre ? Notre histoire se résume-t-elle à cela ? C'est un peu décevant au niveau de la réflexion sur ce qu'est l'intelligence et comment elle évolue.
Le récit de Roland Lehoucq est un hommage au rêve familier de Verlaine.
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrantIl commence à dessiner cette étoile inconnue, orange, trois fois moins massive que le soleil, 3500°C. Sa planète "pas tout à fait la même" possède une orbite elliptique et tourne autour de son étoile en 39 jours terrestres. Elle possède deux lunes. Les marées y sont donc 200 fois plus importantes que sur Terre. Elle a un rayon de 7500 km, tourne sur elle-même en 19 jours. La gravité est égale à 90% de celle de la Terre, ce qui fait que nous ne sentirions pas vraiment la différence.
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Cette première partie se situe beaucoup plus dans le côté science que fiction. Chacun peut imaginer l'étoile, la planète et ses deux lunes. Je pense que j'aurai apprécié un dessin, voire une photo comme celle ci-dessous (source : Wikimédia Commons).
J'ai également trouvé que le récit de Jean-Sébastien Steyer manquait de schémas, mais je plaide coupable. J'aurais dû être plus attentive aux cours de biologie de Mme Lagrange au Lycée Henry Vincenot à Louhans. Je subodore que son idée d'un imaginaire ABN (acide benzoribornucléïque) est géniale, mais je n'en sais pas assez sur l'ARN et l'APN pour vraiment saisir en quoi ce messager est différent de ce que l'on connaît sur Terre.
En revanche, le développement des bactoïdes est passionnant. Ils évoluent en coloïdes prédateurs et cannibales. Au fond des océans apparaissent des barophiles qui aiment les pressions élevées, tandis que les volcaïdes verticaux se déplacent sur le sol. A la surface des océans apparaissent des aérozoaires qui se déplacent ensuite dans les airs. Puis viennent les électroïdes.
Or, l'inversion des pôles magnétiques de la planète cause la disparition de 90% des espèces. Ne survivrons que des espèces semblables aux artémias. Celles-ci évoluerons en exogrades, espèces de gros nounours à 8 pattes, à l'intelligence collective.
"L'oeil de Caïn", la nouvelle de Pierre Bordage en hommage à Ray Bradbury, conclut cette aventure comme un feu d'artifice. Il respecte à la lettre l'environnement décrit par Roland Lehoucq et nous fait vivre les redoutables marées. Le récit suit des colons venus de Terre, qui s'installent d'abord trop près de l'océan unique, le Nordial. Suite à la première marée et aux monstres qui surgissent des failles, ils reculent leur cité. Seule Omaline ne met pas tous les extraterrestres dans le même sac et reconnait l'intelligence des osoanors, mais elle sera considérée comme une folle par sa communauté très religieuse et belliqueuse.
L'ensemble est plutôt réussi, malgré quelques longueurs. Je regrette un peu l'intervention de la Terre dans la troisième partie. Cette planète "pas tout à fait la même" a perdu de son originalité. Au lieu d'observer une planète extrasolaire, c'est elle qui nous a observé et finalement, nous avons observé notre intelligence au lieu d'imaginer une intelligence extraterrestre.
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