Mody a été expulsé. J'étais à Orly ce midi. Je ne le connaissais pas. Enfin, peut-être que si. Je l'ai sans doute croisé à la fac ou aux Ulis.
Il habite à quelques centaines de mètres de chez moi. Il travaille à quelques centaines de mètres de moi. Il devait être parfaitement intégré en France, puisqu'invisible.
Invisible, il l'aura été lors de son passage dans l'avion. Marie-Thérèse nous a demandé "Ce sont des bagages qu'ils viennent de monter là ?" Non, c'était un homme, allongé, deux personnes le tenant devant, sans doute par les mains, deux derrière par les pieds.
Vous avez dit pays des droits de l'homme ?
Il y a eu plus de 1500 pétitions signées sur le papier, quelques centaines en ligne.
Une motion a été vôtée par 400 personnes lors d'une assemblée générale de la fac d'Orsay.
Mais tout cela, ne l'a pas rendu visible. Il aurait semble-t-il juste fallu une photocopie de bulletin de salaire ou une preuve qu'il payait des impôts pour que le consul du Mali ne délivre pas de laissez-passer consulaire. C'est rageant...
Nous avons appris hier soir que son nom était inscrit sur le tableau du CRA, à côté de 15h Bamako. Intimidation ? Une semaine plus tôt, le juge des libertés avait ordonné qu'il reste 15j au CRA. On s'était alors dit qu'on avait le temps.
En fin de matinée, l'alerte a été lancée. Trop tard pour que l'on soit nombreux à Orly. Mody avait demandé aux personnes qui lui avaient rendu visite hier de ne pas faire de bruit, ni bousculade, ni violence.
Nous avions imprimé une note d'information pour les passagers.
Nous nous sommes renseignés au guichet d'Aigle Azur. Il faut la carte d'identité de monsieur X si l'on veut savoir si monsieur X est dans la liste des passagers du vol ZI527.
François s'est renseigné auprès des agents qui s'occupent de l'enregistrement des bagages. Il a eu confirmation qu'il y avait bien des expulsés dans le vol, mais qu'ils ne passeraient pas par la case "bagages".
Nous sommes restés un certain temps, un peu hébétés, ne sachant que faire en regardant les passagers avec des valises énormes, des cartons quelques fois. Nous n'avions pas le coeur de les apostropher, de leur donner nos prospectus, d'engager la conversation.
Il était près de 13h. Nous sommes sûrement arrivés trop tard.
L'avion devait décoller de la plateforme B. Nous nous sommes rendus sur la terrasse. Pas d'avion d'Aigle Azur en vue... puis si, il y en avait deux très loin. Nous étions un peu surpris de la faible activité.
Sur la terrasse, un asiatique prenait des photos avec un réflex et un grand objetif. Il semblait être intéressé par les deux avions, comme nous. L'aéroport était très calme, il n'y avait pas grand chose à photographier de toute façon. Un moustachu nous suivait de plus ou moins loin.
Des voitures blanches se dirigent vers ces avions. Voitures de police banalisées ?
Nous nous apprêtions à partir en nous disant que nous ne verrions rien, que nous ne saurions s'il était parti, que l'espoir subsisterait. Juste en-dessous de nous, nous avons vu un avion Aigle-Azur.
Les bagages arrivaient. Ils ressemblaient à ceux des passagers que nous avons croisés sans oser leur donner nos feuilles.
A 14h, nous avons quitté la terrasse pour rejoindre le hall. Nous étions juste en face.
Il y a eu des va-et-vient sur la passerelle sur le devant de l'avion. Une dame blonde du service de nettoyage nous a fait un petit coucou. Habitude ?
A 14h12, le personnel de bord est passé devant nous. A 14h14, une fourgonnette de police est arrivée au pied de la passerelle.
Une minute plus tard, trois hommes sont montés dans l'avion par l'avant. Ils sont redescendus à 14h22, suivis par une dame qui tenait un aspirateur. La fourgonette est allée se garer derrière l'avion.
A 14h29, une passerelle a été installée à l'arrière de l'appareil. La fourgonnette s'est garée juste au pied de celle-ci cinq minutes plus tard. Six hommes en sont sortis. Trois sont montés dans l'avion.
Marie-Thérèse a reconnu Mody. Nous l'avons vu monter sur la passerelle à 14h37. Il marchait, encadré par deux personnes. Deux autres étaient en bas. Mody a redescendu les quelques marches qu'il avait montées. Tout avait l'air de se dérouler dans le calme. Avait-il dit quelque chose ? Refusé de monter seul dans l'avion ? Simplement voulu rester sur le territoire français ?
Il est remonté dans la fourgonnette. Les portes de celle-ci se sont fermées.
A 14h39, nous avons vu 4 hommes sortir de la fourgonnette. Ils tenaient quelque chose de lourd. Des bagages ? Nous ne pouvions voir ce qu'ils tenaient tant qu'ils montaient les escalier. Lorsque le paquet a pénétré dans l'avion, nous avons compris. Mody a été visible pendant une fraction de seconde.
Comment peut-on traiter un humain ainsi ? Si des hommes prenaient un chien par les quatre pattes pour le fourguer dans un avion, tout le monde hurlerait au scandale.
Et tout ça pour quoi ? La photocopie d'un bulletin de salaire ou de feuille d'impôt aurait-elle suffit à faire qu'un homme soit considéré comme un humain et pas comme un bagage ?
Nous étions sous le choc. Des personnes derrière nous nous ont interpellées. Qu'est-ce qui se passe ? Nous leur avons donné un prospectus, nous avons discuté des associations qui aident les étrangers, etc...
Un peu plus tard, nous avons vu les passagers de l'avion passer devant nous, de l'autre côté de la vitre. Le dernier d'entre eux a lu le papier que je lui montrais.
D'autres personnes se sont agglutinées en face de l'avion. Il part à Oran ? Non, pour Bamako, un de nos amis est dedans. Il y avait effectivement un autre avion Aigle Azur, dont le départ était prévu à 15h.
A 15h13, des bagages sont sortis de l'avion. Une camionnette les a emportés. Et si l'avion ne partait pas ? Simple erreur ?
A 15h18, deux gendarmes sont descendus par la passerelle avant.
A 15h24, l'avion a quitté sa place.
A 15h32, il a décollé.
A bientôt Mody !
Nous avons appris qu'il était arrivé à Bamako grâce à l'association malienne des expulsés. Merci à eux.
Il habite à quelques centaines de mètres de chez moi. Il travaille à quelques centaines de mètres de moi. Il devait être parfaitement intégré en France, puisqu'invisible.
Invisible, il l'aura été lors de son passage dans l'avion. Marie-Thérèse nous a demandé "Ce sont des bagages qu'ils viennent de monter là ?" Non, c'était un homme, allongé, deux personnes le tenant devant, sans doute par les mains, deux derrière par les pieds.
Vous avez dit pays des droits de l'homme ?
Il y a eu plus de 1500 pétitions signées sur le papier, quelques centaines en ligne.
Une motion a été vôtée par 400 personnes lors d'une assemblée générale de la fac d'Orsay.
Mais tout cela, ne l'a pas rendu visible. Il aurait semble-t-il juste fallu une photocopie de bulletin de salaire ou une preuve qu'il payait des impôts pour que le consul du Mali ne délivre pas de laissez-passer consulaire. C'est rageant...
Nous avons appris hier soir que son nom était inscrit sur le tableau du CRA, à côté de 15h Bamako. Intimidation ? Une semaine plus tôt, le juge des libertés avait ordonné qu'il reste 15j au CRA. On s'était alors dit qu'on avait le temps.
En fin de matinée, l'alerte a été lancée. Trop tard pour que l'on soit nombreux à Orly. Mody avait demandé aux personnes qui lui avaient rendu visite hier de ne pas faire de bruit, ni bousculade, ni violence.
Nous avions imprimé une note d'information pour les passagers.
Nous nous sommes renseignés au guichet d'Aigle Azur. Il faut la carte d'identité de monsieur X si l'on veut savoir si monsieur X est dans la liste des passagers du vol ZI527.
François s'est renseigné auprès des agents qui s'occupent de l'enregistrement des bagages. Il a eu confirmation qu'il y avait bien des expulsés dans le vol, mais qu'ils ne passeraient pas par la case "bagages".
Nous sommes restés un certain temps, un peu hébétés, ne sachant que faire en regardant les passagers avec des valises énormes, des cartons quelques fois. Nous n'avions pas le coeur de les apostropher, de leur donner nos prospectus, d'engager la conversation.
Il était près de 13h. Nous sommes sûrement arrivés trop tard.
L'avion devait décoller de la plateforme B. Nous nous sommes rendus sur la terrasse. Pas d'avion d'Aigle Azur en vue... puis si, il y en avait deux très loin. Nous étions un peu surpris de la faible activité.
Sur la terrasse, un asiatique prenait des photos avec un réflex et un grand objetif. Il semblait être intéressé par les deux avions, comme nous. L'aéroport était très calme, il n'y avait pas grand chose à photographier de toute façon. Un moustachu nous suivait de plus ou moins loin.
Des voitures blanches se dirigent vers ces avions. Voitures de police banalisées ?
Nous nous apprêtions à partir en nous disant que nous ne verrions rien, que nous ne saurions s'il était parti, que l'espoir subsisterait. Juste en-dessous de nous, nous avons vu un avion Aigle-Azur.
Les bagages arrivaient. Ils ressemblaient à ceux des passagers que nous avons croisés sans oser leur donner nos feuilles.
A 14h, nous avons quitté la terrasse pour rejoindre le hall. Nous étions juste en face.
Il y a eu des va-et-vient sur la passerelle sur le devant de l'avion. Une dame blonde du service de nettoyage nous a fait un petit coucou. Habitude ?
A 14h12, le personnel de bord est passé devant nous. A 14h14, une fourgonnette de police est arrivée au pied de la passerelle.
Une minute plus tard, trois hommes sont montés dans l'avion par l'avant. Ils sont redescendus à 14h22, suivis par une dame qui tenait un aspirateur. La fourgonette est allée se garer derrière l'avion.
A 14h29, une passerelle a été installée à l'arrière de l'appareil. La fourgonnette s'est garée juste au pied de celle-ci cinq minutes plus tard. Six hommes en sont sortis. Trois sont montés dans l'avion.
Marie-Thérèse a reconnu Mody. Nous l'avons vu monter sur la passerelle à 14h37. Il marchait, encadré par deux personnes. Deux autres étaient en bas. Mody a redescendu les quelques marches qu'il avait montées. Tout avait l'air de se dérouler dans le calme. Avait-il dit quelque chose ? Refusé de monter seul dans l'avion ? Simplement voulu rester sur le territoire français ?
Il est remonté dans la fourgonnette. Les portes de celle-ci se sont fermées.
A 14h39, nous avons vu 4 hommes sortir de la fourgonnette. Ils tenaient quelque chose de lourd. Des bagages ? Nous ne pouvions voir ce qu'ils tenaient tant qu'ils montaient les escalier. Lorsque le paquet a pénétré dans l'avion, nous avons compris. Mody a été visible pendant une fraction de seconde.
Comment peut-on traiter un humain ainsi ? Si des hommes prenaient un chien par les quatre pattes pour le fourguer dans un avion, tout le monde hurlerait au scandale.
Et tout ça pour quoi ? La photocopie d'un bulletin de salaire ou de feuille d'impôt aurait-elle suffit à faire qu'un homme soit considéré comme un humain et pas comme un bagage ?
Nous étions sous le choc. Des personnes derrière nous nous ont interpellées. Qu'est-ce qui se passe ? Nous leur avons donné un prospectus, nous avons discuté des associations qui aident les étrangers, etc...
Un peu plus tard, nous avons vu les passagers de l'avion passer devant nous, de l'autre côté de la vitre. Le dernier d'entre eux a lu le papier que je lui montrais.
D'autres personnes se sont agglutinées en face de l'avion. Il part à Oran ? Non, pour Bamako, un de nos amis est dedans. Il y avait effectivement un autre avion Aigle Azur, dont le départ était prévu à 15h.
A 15h13, des bagages sont sortis de l'avion. Une camionnette les a emportés. Et si l'avion ne partait pas ? Simple erreur ?
A 15h18, deux gendarmes sont descendus par la passerelle avant.
A 15h24, l'avion a quitté sa place.
A 15h32, il a décollé.
A bientôt Mody !
Nous avons appris qu'il était arrivé à Bamako grâce à l'association malienne des expulsés. Merci à eux.
Commentaires
remercie tous et toutes pour ce que vous avez fait pour moi. Avec votre soutien jusqu'au bout.
ce jour là je n'oublierai jamais de ma vie. je suis avec l'association malienne des expulsés à Bamako.
mon mail: modihawa@yahoo.fr
+223 66 00 81 74
Hier, j'ai vraiment eu honte d'être française. J'avais besoin de raconter ce que j'avais vu. Et je pense que je n'ai pas vu le pire.
Beaucoup de gens ici espèrent ton retour en France. En tous cas, bravo pour tout !
Très triste!