La mort immortelle

La science-fiction chinoise se porte bien, même très bien. Je viens de terminer le dernier roman de Liu Ci-Xin "La mort immortelle", et j'ai encore pris une claque.


Il n'est pas indispensable d'avoir lu les précédents ouvrages de cette trilogie pour entamer ce roman de 813 pages, mais c'est préférables, vu que l'on retrouve Luo Ji, le héros de la forêt Sombre [1] et que le message envoyé par Ye Wenje dans Le problème à trois corps est brièvement évoqué mais joue un rôle déterminant [2].


Un hommage à Stephen Hawking

Tout en dévorant les pages, j'ai pensé à Stephen Hawking, qu'il s'agisse de ses travaux sur l'horizon d'un trou noir ou sur les alertes relatives à l'hostilité d'éventuelles civilisations extraterrestres. 

L'hypothèse de la forêt sombre est poussée jusqu'au bout. Dans le deuxième opus, on avait peur des Trisolariens. Le récit commence dans une espèce de guerre froide entre deux civilisations et se termine dans une lutte universelle, au sens littéral du terme.  


Quand on est seul dans une forêt, il ne faut pas crier, histoire de ne pas attirer l'attention des prédateurs. Dans l'univers, il ne faut pas pas montrer son existence en envoyant des signaux radios ou en utilisant un vaisseau supraluminique. Et quand la bêtise a été faite une fois, comment se protéger ? Quel parapluie ouvrir ? 

Le temps, l'espace, et le reste

Est-ce que scientifiquement le roman est crédible ? Instinctivement, j'ai envie de dire que l'on nage en pleine science-fiction lorsque l'auteur modifie la vitesse de la lumière et considère les lois de la physique comme des armes à contrôler.

Il construit cependant des univers à 2, 3, 4, 10 dimensions qui régaleraient les mathématiciens. Est-ce que les océans seraient transparents si la Terre était plate avec de la glace en 2D sur le bord ? Certains chapitres ne sont pas sans rappeler Flatland d'Edwin A. Abbot.

Mais tout n'est pas intuitif et j'imagine que des spécialistes de la matière noire, des théoriciens, ont des avis pertinents sur les scénarios imaginés par Liu Cixin. Dans cette interview, Hawking conseille aux adolescentes en pleurs de 2015 d'étudier la physique théorique au cas où il existe un univers parallèle dans lequel Zayn fait toujours partie du groupe "One direction".


Dans "La forêt Sombre", Liu Cixin avait déjà utilisé l'hibernation pour projeter son personnage principal des centaines d'années plus tard. Ici, il en abuse ! Cheng Xin vit pendant plus de 700 ans, grâce à cela.

Une scientifique qui doute

J'ai trouvé les deux personnages féminins, à savoir Cheng Xin,  艾AA très intéressants. Cheng Xin fait partie d'un groupe de travail sur la propulsion des fusées Longue Marche. Très vite, elle va avoir de nouvelles idées qui vont être acceptées, ce qui fait que des responsabilités vont lui incomber. Le problème est qu'elle est entourée de militaires, d'hommes avec beaucoup de testostérone comme Wade, qui vont exploiter sa sensibilité.
Tout au long du roman, elle se sent responsable de ce qui arrive à l'humanité, elle regrette ses décisions, alors qu'elle soulève l'admiration autour d'elle. Beaucoup de ses choix sont faits dans des circonstances difficiles. Elle est aveugle, elle sort d'hibernation et n'a pas toutes les clés en main, quand elle n'est pas en plein problème du Tramway, obligée de tuer des gens quoi qu'il arrive. L'état de la recherche fondamentale fait qu'à aucun moment elle ne peut comprendre l'univers qui l'entoure et la menace qui pèse sur ces concitoyens.


Les signatures technologiques

Dans ce dernier tome de la trilogie, la recherche d'intelligence extraterrestre est abordée de deux manières différentes. Il y a tout d'abord la quête des humains de ne pas laisser de trace, c'est-à-dire de signature technologique pour ne pas être la cible d'attaque. Faut-il retourner au moyen âge pour prouver au reste de l'univers que nous ne représentons aucune menace ? Faut-il au contraire développer des vaisseaux supraluminiques pour s'échapper en cas d'attaque, quitte à sacrifier ceux qui resteront en courbant l'espace-temps autour de la Terre ? Finalement, à partir du moment où les "pinceurs d'étoile" ont émis une seule fois, c'est trop tard ! Peut-être que les émissions FM ou TV sont passées inaperçues contrairement aux arguments de Seth Shostak, Liu Cixin n'en parle pas. 


Décoder les contes. 

Le passage le plus extraordinaire du roman est le partage des trois contes. Ceux-ci, mettant en scène une princesse et un peintre cachent des informations qui devraient permettre à l'humanité de se protéger. 
Décrypter ces histoires revient à rechercher les motifs, les images qui reviennent pour construire des analogies avec les technologies connues. 


En plus d'être poétique, le code trouvé par Liu Cixin est brillant, intelligent. C'est peut-être aussi une invitation à chercher dans ses œuvres autre chose qu'une fiction. 

Ce troisième volume aurait pu facilement être divisé en deux ou trois, mais l'histoire méritait d'être racontée d'une seule traite. En plus des idées géniales, on a un très beau space-opéra avec des vaisseaux, des stations spatiales, des univers !

Alors qu'il n'y a eu que 6 lancements d'Ariane V en 2018, il y a eu 39 lancements de fusées par la Chine. Mon petit doigt me dit qu'en SF aussi, les chinois commencent à dépasser ce qui se fait partout ailleurs.
  1. E. Piotelat, La forêt sombre, 12/2017. 
  2. E. Piotelat, le problème à trois corps, 11/2017 

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