Anonymat et paroles égales

Ce blog est anonyme... La plupart des lecteurs savent qui je suis, et pour les autres, ce n'est pas si important de connaître mon nom. En général, quand je parle d'un article, d'une information, j'ajoute un lien qui permet à celui ou celle qui le désire de vérifier, d'en savoir plus. Que je m'appelle Albertine ou Zazaa n'a aucune influence sur mes propos.


Comme mes concitoyens, je suis allé remplir le cahier de doléances. J'avais apporté une carte d'identité, que l'on ne m'a pas demandé. On m'a précisé que les textes pouvaient être anonymes. Je me suis donc contentée d'apposer une signature, sans autre information sur qui j'étais, un peu comme lorsque je vote. Mon bulletin a la même valeur que celui de la personne derrière moi.

A l'heure où les gilets jaunes demandent un référendum d'initiative populaire, face aux maires, le président à déclaré vendredi dernier [1] :
"L'un des défis que nous avons tous en tant que décideurs politiques, c'est que le monde dans lequel nous vivons en effet fait circuler l'information beaucoup plus vite. C'est à la fois un risque et une opportunité. "
Ça comment à sentir très très très mauvais...

Ayez confiance... 

Il poursuit son monologue face aux maires en parlant de confiance que les gens avaient avant face aux décideurs. Se croit-il au moyen-âge ? Depuis 1789, il me semble qu'il y a toujours eu une défiance envers ceux à qui le peuple confiait un mandat. Ça s'appelle la démocratie. 
C'est un risque parce qu'il y a à la fois beaucoup d'informations fausses, relatives, décontextualisées qui circulent, et donc ça bouscule la confiance que les gens avaient naguère dans ceux qui décidaient et qui avaient une légitimité. 
Plus on a d'informations, plus grande est la probabilité que quelqu'un aille fouiller dans des archives, dans des photos d'événements. C'est grâce à cela que des twittos ont fait le rapprochement entre le policier qui avait tabassé un militant le 1er mai et un garde du président. [2]


Parole scientifique... 

Il poursuit son discours en parlant de la parole d'un scientifique (et pas d'une scientifique, les préjugés ont la vie dure). Ensuite il utilise scientifique comme adjectif : "il faut une parole scientifique".  
Ça donne le sentiment que toutes les paroles sont égales.  Or c'est pas vrai. Quand on parle de sujet de dépendance, la parole d'un scientifique est plus crédible que la mienne. [..] Quand on parle de transition environnementale, il faut une parole scientifique, qui ne vaut pas la même chose que celle d'un simple citoyen. 
Si on garde le même contexte, il a tort. Les patients peuvent devenir experts de la maladie. A propos de dépendance aux écrans par exemple, un géologue de 80 ans qui n'a pratiquement jamais utilisé d'ordinateurs sera moins crédible qu'une mère de famille qui a vu son enfant passer des nuits à jouer à tel jeu. La transition environnementale ne se fera pas contre les citoyens. Je n'ai jamais entendu autant de personnes dénigrer le réchauffement climatique depuis l'annonce de l'augmentation de la taxe carbone.

De plus, les scientifiques ne sont pas d'accord entre eux, et c'est tant mieux.

Par exemple, je fais partie des auteurs d'un article publié en juillet dernier. [3]


Un chercheur du département des études religieuses de l'université du Texas, John D Traphagan, a écrit un autre article pour souligner des problèmes de subjectivité et de généralisation de l'article [4].


L'université de Cambridge nous a proposé d'écrire une lettre [5] pour répondre aux arguments de Traphagan, et qui a été publiée en même temps que son article, le 17 janvier dernier.

Les deux articles sont passés par un système de Peer-Review, c'est-à-dire que d'autres scientifiques, experts dans les domaines concernés ont relu les manuscrits envoyés, les ont critiqué, ont suggéré des modifications, etc, etc...

Ecrire la lettre [5] a nécessité une lecture attentive du manuscrit [4], et une analyse critique de chaque propos. C'est pendant cette période que j'ai écrit le billet "Rio et FRB" inspiré par les photos de Thierry Perrot. [6]

Horizontalité

La suite de ses propos traduit à lui seul à quel point le président voit le monde depuis sa tour d'ivoire et ne se considère pas chargé d'un mandat par ceux qui l'ont élu. 
Toutes les expressions sont légitimes, mais elles ne se valent pas toutes. Cette horizontalité, il faut faire attention à ne pas s'engouffrer dedans, sinon, on ne pourra plus jamais décider. [..]
Bien sûr que si, on peut décider, prendre des décisions avec de l'horizontalité. Il suffit de voter, un peu comme c'était le cas lors des AG de Nuit Debout.

Le but de l'échelle de Rio, c'est que les citoyens, les journalistes, s'en emparent, utilisent le formulaire [7] et le téléchargent depuis github [8] pour regarder le code source.

Si le projet SETI@HOME, lancé en 1999 et prévu pour durer 2 ans fonctionne encore aujourd'hui, c'est grâce aux 1757350 utilisateurs. Ceux-ci prennent la décision de télécharger BOINC et de rejoindre le projet SETI@HOME [9]. Je ne décide pas si mon ordinateur analyse des données issues de Green Bank ou d'Arecibo. Ce sont les chercheurs de l'université de Berkeley qui choisissent d'utiliser SETI@HOME ou autre chose pour traiter tels signaux, mais si personne n'utilisait le logiciel, le choix serait vite fait.


D'autres contributions citoyennes sont bien plus importantes. Par exemple,  Joanne Ault, Elisabeth Baeten, Alexander F. Jonkeren, James Langley, Houssen Moshinaly, Kirk Pearson, Christopher Tanner, et Joanna Treasure ont découvert l'exoplanète K2-288Bb [10] via le projet Exoplanet Explorer de ZooUniverse [11].

Hygiène

Mais revenons aux propos de celui qui se dit démocrate : 
Ce que nous devons faire d'abord, c'est une sorte d'hygiène démocratique du statut de l'information. 
Hygiène et information dans la même phrase, ça sent très très mauvais. S'agit-il d'enlever des bactéries ? De réduire ceux qui ne pensent pas comme nous au silence ? De mettre de la communication partout avec des "community-manager" sous payés pour écrire ce qu'on leur dit d'écrire ? S'agit-il de mettre des règles du style "si c'est une femme qui le dit, c'est du blablabla et si c'est un homme politique, c'est un mensonge." ?

Ce matin, les bus ne roulaient pas aux Ulis parce que la mairie n'avait pas jugé utile de déneiger. Pas besoin d'attendre que le CM des Cars d'Orsay arrive à son travail tant bien que mal pour envoyer une ou plusieurs photos des bus bloqués au centre commercial Ulis2.



Ces a-priori, cette hygiène-là existe naturellement. Inutile de légiférer ! C'est juste tendre vers la dictature... Si je publie ces photos sur mon compte twitter, peu d'usagers les verront parce qu'ils iront rechercher l'information sur le fil des cars d'Orsay ou de la mairie des Ulis.

 Anonymat

Le court extrait se termine par : 
 Je crois que l'on doit aller vers une levée progressive de toute forme d'anonymat. Je crois que l'on doit aller vers des processus où l'on sait distinguer le vrai du faux, où l'on doit savoir d'où les gens parlent et pourquoi ils disent les choses. "
Quand je poste une photo, il est facile de me localiser, surtout si j'utilise un smartphone et que je ne me suis pas arrachée les cheveux pour dire à toutes les applications, y compris les plus basiques qu'elles n'avaient pas besoin de me géolocaliser.


Par exemple, qui prendrait cette photo si il n'était pas obligé d'aller sur le plateau de Saclay pour son travail ? Donner son nom et son prénom n'empêche pas certains de se faire passer pour des experts. Par exemple, Laurent Alexandre est un médecin urologue. Il n'a jamais publié le moindre papier scientifique sur l'intelligence artificielle. Je doute qu'il ait écrit une ligne de code d'algorithme faisant de l'apprentissage machine, mais ça ne l'empêche pas d'être invité partout et de passer pour un spécialiste de l'IA.

Le député Joachim Son Forget n'était pas du tout anonyme quand il a insulté et harcelé Esther Benbassa sur Twitter. Certes, il ne fait plus partie de LREM, mais il est toujours député et ses messages du 24 décembre n'ont pas été effacés. [12]


  1. Tweet de BFMTV
  2. E. Piotelat, Suis-je un robot ? 8/2018
  3. Forgan, D., Wright, J., Tarter, J., Korpela, E., Siemion, A., Almár, I., & Piotelat, E. (n.d.). Rio 2.0: Revising the Rio scale for SETI detections. International Journal of Astrobiology, 1-9. doi:10.1017/S1473550418000162
  4. Traphagan, J. (n.d.). Deconstructing the Rio Scale: Problems of subjectivity and generalization. International Journal of Astrobiology, 1-5. doi:10.1017/S1473550418000460
  5. Forgan, D., Wright, J., Tarter, J., Korpela, E., Siemion, A., Almár, I., et Piotelat, E. (n.d.). Rebuttal to: ‘Deconstructing the Rio Scale: Problems of subjectivity and generalization’. International Journal of Astrobiology, 1-2. doi:10.1017/S1473550418000435
  6. E. Piotelat, Rio et FRB, 9/2018.
  7. L'échelle de Rio, questionnaire en ligne (version FR)
  8. https://github.com/dh4gan/rioscale2
  9. BOINC
  10. Adina D. Feinstein and Joshua E. Schlieder and John H. Livingston and David R. Ciardi and Andrew W. Howard and Lauren Arnold and Geert Barentsen and Makennah Bristow and Jessie L. Christiansen and Ian J. M. Crossfield and Courtney D. Dressing and Erica J. Gonzales and Molly Kosiarek and Chris J. Lintott and Grant Miller and Farisa Y. Morales and Erik A. Petigura and Beverly Thackeray and Joanne Ault and Elisabeth Baeten and Alexander F. Jonkeren and James Langley and Houssen Moshinaly and Kirk Pearson and Christopher Tanner and Joanna,  Treasure, K2-288Bb: A Small Temperate Planet in a Low-mass Binary System Discovered by Citizen Scientists, The Astronomical Journal, 10.3847/1538-3881/aafa70
  11. Zoouniverse. Exoplanet explorer.
  12. Tweets de Joachim Son-Forget le 24 décembre.

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