A Laura

Laura nous a quitté le 14 novembre dernier. Elle avait 25 ans [1]. 

Je ne l'ai jamais rencontrée. Lors d'un mémorable séjour au Québec en 2010, Sonia et moi avions fait la connaissance de Sylvie, qui nous avait parlé de sa fille... J'aimerais tendre la main à mon amie pour l'aider à franchir les déferlantes de "et si", les torrents de "pourquoi", la colère, la culpabilité, les vagues d'émotions qui nous submergent avant d'apercevoir cette lumière, l'amour maternel, et de se rendre compte qu'il est toujours là, toujours plus fort, que l'on a 1000 histoires à se remémorer, quelquefois à partager.   

Si Laura avait été à un concert, avec beaucoup de bruit, que des terroristes aient déboulé, son nom aurait été associé à un événement, il aurait été dans les journaux. Mais non, comme Sonia, Laura est partie sans faire de bruit, dans un silence assourdissant, à son domicile. La cause du décès ? Dans un attentat, la première réponse est évidente "une balle a traversé son corps" mais ce n'est pas une réponse satisfaisante pour les proches qui se demandent si leur enfant a souffert, si on aurait pu le sauver, si l'attentat aurait pu être évité et si et si et si... On se sent coupable, on cherche d'autres coupables, l'école, l'université, le changement climatique, la COVID, etc, etc... Près de 5 mois après le décès de Sonia, je n'ai trouvé que des "white lies", des mensonges qui me font du bien, sortes de point final aux "et si...". 


Combien de Sonia, de Laura nous ont quitté cette année ? En juin dernier, j'avais demandé au service médical de l'université Paris-Saclay combien d'étudiants étaient décédés depuis le début de la crise sanitaire. Ils ont transmis ma demande au service médical gérant les étudiants. Je n'ai toujours pas la réponse. Et puis, ce ne sont que des chiffres, des statistiques. 

Qui était Laura ? Qu'a-t-elle apporté à l'humanité ? Quand on regarde les portraits des jeunes adultes  morts au Bataclan, on trouve souvent des choses comme "elle aimait faire la fête" ou "elle appréciait les terrasses des cafés parisiens", "elle chantait, dansait, jouait de tel instrument", "c'était un rayon de soleil pour ses amis", etc...  A 25 ans, on a la vie devant soit, pas derrière (à moins d'avoir d'être sportif professionnel ou danseuse étoile). Alors on remplace l'imparfait, le passé simple par le conditionnel passé "Que serait devenue Laura ? Qu'aurait-elle apporté à l'humanité ? Quels auraient été ses combats ?" 

Quand l'ordre des choses est inversé, quand les parents héritent des rêves, des espoirs, des projets, des histoires de leurs enfants disparus trop tôt, le temps n'existe plus. Dans cette faille spatio-temporelle, il faut se reconstruire. La flamme de la bougie, brille, danse, vacille au gré du vent... Sur le rebord de la fenêtre, au cimetière, sous l'Arc de Triomphe, à nous de raviver la flamme pour entretenir encore et toujours le souvenir de Laura et de tous les jeunes adultes partis sans faire de bruit, sans raison, dans cette terrible année 2020... 


  1. Avis de décès. Laura Corns

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