Le 8 novembre dernier, un étudiant, Anas K s'est immolé par le feu à Lyon. Il a laissé une lettre sur Facebook.
Elle commence ainsi :
"Aujourd'hui, je vais commettre l'irréparable, si je vise donc le bâtiment du CROUS à Lyon, ce n'est pas un hasard, je vise un lieu politique, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et par extension le gouvernement."
Pour une fois, je vais essayer de ne pas tout mélanger dans le même billet de blog. Je vais parler du CROUS, uniquement sur l'aspect restauration, en particulier avec l'application Izly qui permet aux étudiants de payer leurs repas [1].
Une banque
Le compte Izly est créé au mois de juillet, alors que le nouveau bachelier n'a pas encore mis les pieds dans l'université. Il reçoit un email sur son adresse personnelle (car l'adresse universitaire n'a pas encore été créée) l'invitant à activer son compte.
Une fois le compte activé, les parents sont ravis d'avoir le code afin de pouvoir déposer de l'argent afin que l'étudiant puisse manger !
Malheureusement, ce n'est pas si simple que ça. En bas du mail, on a les noms des sociétés derrière Izly :
- S-MONEY, Etablissement de monnaie électronique [..], société par actions simplifiée au capital de 29 057 734 euros.
- BPCE, Société Anonyme à directoire et conseil de surveillance, au capital de 155 742 320 euros.
Oui, Anas n'avait peut-être pas de quoi manger tous les jours, mais deux sociétés au capital de 29 et 155 millions d'euros, le savaient.
Dans la notice d'information sur les données personnelles [2], on apprend que S-MONEY est une filiale de BPCE et peut lire :
"S-MONEY est l’opérateur du service Izly, retenu dans le cadre d’un appel d’offres."
Au lieu de filer du fric à tous les étudiants qui sont dans le besoin, le CROUS a donc payé les services de S-MONEY pour fournir un service qui ne réduit pas la longueur des files d'attentes.
Les données de Parcoursup filées à BPCE.
La notice d'information sur les données personnelles [2] nous apprend aussi que :Afin de simplifier les démarches au profit de l’ayant droit, les données personnelles rattachées au compte Izly peuvent être alimenté à partir des données transmises par l’établissement d’affectation ou par PARCOURSUP pour les futurs étudiants.Si l'étudiant clique sur son profil, il peut découvrir avec joie que la BPCE possède sa date de naissance. La BPCE a-t-elle besoin de savoir qu'Anas a 22 ans et qu'il est né tel jour, tel mois ?
Et à quoi sert tout cela ? La nature du traitement explique que l'on peut charger son compte en banque, payer de petites sommes. Les données personnelles servent à gérer les réclamations mais aussi à "des études statistiques relatives au suivi des usages et/ou aux mesures de satisfaction" .
Est-ce que la BPCE a demandé à Anas s'il était satisfait d'Izly ? Est-ce qu'elle a fait des statistiques sur le nombre de paquets de chips et de Coca Cola pris au distributeur ?
Bienvenue dans le nouveau monde
Ce qui en théorie est merveilleux avec Izly, c'est que l'étudiant peut payer avec sa carte étudiant... Le seul problème, c'est que quand ça ne marche pas et que l'on contacte l'assistance Izly (donc la BPCE payée pour ça), la réponse formidable est :Bref, ajouter une ligne dans une base de données avec un numéro de carte étudiant est trop compliqué pour eux. Ils renvoient la patate chaude au personnel des restaurants universitaires.
Un lieu politique ?
Anas s'est-il trompé de cible en visant le CROUS au début de sa lettre ? N'aurait-il pas pu cibler une des entreprises du groupe BPCE, à savoir la Caisse d'Epargne, la Banque populaire, Natixis, etc, etc... ?Le personnel du CROUS fait ce qu'il peut avec les moyens dont il dispose. J'imagine que le personnel ne doit pas sourire tous les jours, par exemple en découvrant qu'avec Izly, ils doivent jouer le rôle de guichetier de banque et assurer le support utilisateur que l'assistance Izly refuse de faire.
Mais qui a pris la décision de faire un appel d'offre pour un service qui ne fonctionne pas ? Qui a décidé de donner l'argent du contribuable à la BPCE plutôt qu'à Anas ? Qui a décidé que la carte Izly permettrait d'acheter des confiseries hors de prix dans un distributeur et non les pommes d'un cultivateur local ?
Les étudiants peuvent avoir un repas complet pour 3 euros [3], mais encore faut-il qu'ils trouvent un restaurant qui ne soit pas bondé. Sur le plateau de Saclay, tous sont saturés. Comment faire 1/2 heure de queue quand on a une heure de pause ? Dans certains restaurants, on pousse à la consommation. Il faut au moins "6 points", ce qui est compliqué si l'on ne veut pas prendre de viande par exemple. Qui a décidé cela ?
450 euros par mois
Anas poursuit sa lettre par :Cette année, faisant une troisième L2, je n'avais pas de bourse, et même quand j'en avais, 450 €/mois, est-ce suffisant pour vivre ?
450, c'est 150 repas du CROUS à 3 euros. Mais s'il faut se loger, le loyer minimal d'une chambre au CROUS, c'est 260 euros. Il ne reste donc plus que 190 euros pour manger, c'est-à-dire un peu plus de 60 repas, ou 3 repas par jour...
Alors non, 450 €/mois, ce n'est pas suffisant pour vivre. Les parents le savent bien en regardant le prix de leur caddie au supermarché, de leur cabas au marché ou de leur panier saveur livré sur l'université [4].
La précarité tue, et c'est d'autant plus rageant quand on sait que le peu d'argent que possèdent les étudiants, et leurs données personnelles sont manipulées une société au capital de 155 millions d'euros.
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