Après l'apocalypse

Cette semaine, j'aurais pu aller à Adélaïde en tant que membre du comité SETI [1] permanent de l'IAA [2]. J'ai pu assister à la réunion par visioconférence, de 2 heures à 6 heures du matin, mardi dernier. Quand pourrais-je prendre la BFR (Big Fucking  Rocket) sur le plateau de Saclay pour arriver en Australie en une trentaine de minutes ?


La BFR n'existe pas encore, et le fait de rester ici m'a permis d'aller au festival VO-VF à Gif-sur-Yvette pour discuter de traduction de récits post-apocalyptiques. Plusieurs fois, je me suis surprise à penser que l'on n'était plus dans la fiction, que l'apocalypse était déjà là, et que peut-être, les projets d'Elon Musk ne sont pas aussi fous que ça. Le mal est fait, il faut quitter la Terre, et laisser ceux qui restent la polluer.


Josette Chicheportiche 

Lorsque la traductrice de Dans la forêt de Jean Hegland a résumé le contexte du roman, à savoir deux sœurs, 16 et 17 ans, rêvant d'Harvard ou de concours de danse, mais seules dans un univers sans électricité, j'ai pensé à l'île de Porto-Rico. Des photos avec des animaux morts, des inondations, des maisons détruites ont commencé à circuler. [6].

Tout au fil de la semaine, des nouvelles qui sont parvenues d'Arecibo ne sont pas bonnes. C'est l'apocalypse, ainsi résumée par le professeur Abel Mendez [4]

Internet stable comme une naine rouge.
L'eau comme un pulsar.
L'électricité reste un trou noir.

Ed Rivera-Valentín [5] écrit qu'il pleure tous les soirs la destruction de cette oasis verdoyante. Il y a beaucoup plus de morts que ce qu'annoncent les informations -au moins 50 déjà-, uniquement dans la ville d'Arecibo.


Une récolte de fonds est lancée par l'USRA (association à but non lucratif), pour venir en aide au personnel de l'observatoire Arecibo : urgence, soins médicaux, reconstruction de domicile familial détruit après le passage d'Irma [7].

Dans la forêt de Jean Hegland n'est pas un livre de SF pour Josette Chicheportiche, mais plutôt un journal intime relatant une aventure semblable à celle de Robinson Crusoé. Comme l'a judicieusement remarqué Trump, Porto Rico est une île. Est-ce une raison pour laisser mourir les gens, ou les laisser dans des situations administratives ubuesques, comme devoir s'inscrire sur un site internet pour bénéficier de l'aide, alors qu'il n'y a pas d'électricité et un mauvais réseau ?


Faut-il quitter la Terre ?

Denis Mellier, qui animait le débat sur la littérature post-apocalyptique, a souligné que la question était rarement de savoir comment la catastrophe était arrivée, mais plutôt de savoir ce que faisait l'humanité pour s'en sortir. Vendredi dernier, j'ai écouté la présentation tant attendue d'Elon Musk, en prenant mon petit déjeuner, à 6h30 en France, 14h à Adélaïde.


Son projet d'étendre l'espèce humaine sur plusieurs planètes n'est pas nouveau. Il avait déjà surpris tout l'auditoire de l'IAC l'année dernière en annonçant son désir de permettre à toute personne qui le souhaiterait de partir sur Mars [3]. Son discours commençait par "That's what we want."



Le vol entre Paris et Adélaïde, c'est 16160 km, et un bilan carbone à 6 278,31 kg eq. CO2. Il faut multiplier cela par deux si l'on veut rentrer. Un lancement de Falcon 9, c'est 440 000 kg de CO2 dans l’atmosphère. Même si la récupération du premier étage permet de réduire les coûts de lancement, la planète ne va pas y gagner. Comme son nom l'indique, la BFR est bien plus grosse que Falcon 9.


Elon Musk peut être perçu comme un lanceur d'alerte. Le premier juin, il marquait son opposition en quittant son poste de conseiller suite au retrait de Trump des accords de Paris, en insistant sur la réalité des changements climatiques.  Il a a fondé la société TESLA, dont la mission est d’accélérer la transition mondiale vers un schéma énergétique durable. [11]. Pourquoi a-t-il lancé cette idée de voyage en fusée d'un bout à l'autre de la planète ? Etait-ce juste une opération de communication à l'intention de riches voyageurs pour financer son projet de Martien, ou est-ce qu'au contraire, sa fibre écologiste n'est-elle que superficielle ? 

Sara Doke

La partition que joue Elon Musk n'est pas facile à comprendre, ici en France. En traduisant l'oeuvre de Paolo Bacigalupi, Sara Doke s'est heurté à cette culture qu'il faut expliquer, adapter, aux lecteurs n'ayant pas certaines références. Elle décrit l'écriture de  Bacigalupi comme fluide et rythmée. Après avoir traduit plusieurs romans, elle connait sa langue, et compare son travail à celui de transcrire une partition pour piano en partition pour violon. 


Dans leur article consacré aux visions du futur de l'humanité dans l'espace et à SETI [12], l'astronome Jason T. Wright et l'anthropologiste Michale P. Oman Reagan étudient le vocabulaire utilisé. Ils comparent les projets d'Elon Musk à ceux d'Arthur C. Clarke, Ils mentionnent cet échange dans Star Talk [13]. Ils analysent également les références aux romans post-apocalyptiques, avec l'idée de s'installer sur Mars. 


Sara Doke a essentiellement parlé de Water Knife. le dernier roman de Paolo Bacigalupi. Certains endroits des USA n'ont pas d'eau à cause de ceux qui remplissent leurs piscines en Californie. Elle a aussi expliqué l'aspect créatif de la traduction en science-fiction, où il faut quelquefois inventer des mots, des cultures.

Gwennaël Gaffric.

Cela fait un moment que j'entends parler de Liu Cixin, qui a reçu le prix Hugo en 2015 [14], et que je me dis qu'il faut absolument que je lise Le problème à trois corps, d'autant plus qu'il a été traduit en français. Mais je n'ai pas eu l'opportunité de croiser le roman dans une librairie, ce qui fait que j'ai remis sa lecteur à plus tard. Le traducteur, Gwennaël Gaffric, était présent à Gif-sur-Yvette. J'ai pu aussi me procurer deux ouvrages de Liu Cixin.


Pour le traducteur, le premier tome décrit une pré-apocalypse. La révolution culturelle chinoise peut-être vue comme une mini-apocalypse, avec ses millions de morts. Gwennaël Gaffric a fait des études de Chinois et a vécu à Taiwan. Pour lui, le chinois permet une créativité sans borne et il a pris du plaisir à traduire diverses époques. Il a par exemple utilisé la langue de molière lorsque les dialogues se passent à l'époque de Newton.

Selon lui, la Chine mise sur la science-fiction. Les censeurs ne sont pas très futés donc des œuvres imaginaires peuvent être autorisées alors que des textes moins critiques mais sans fiction ne sont pas autorisées.

Il a bénéficié de l'aide d'un ami Taïwanais, docteur en astrophysique, à qui il a soumis divers extraits pour vérifier l'exactitude scientifique. Il a eu comme réponse "Quelques passages sont incohérents, mais c'est pas trop mal". Gwennaël Gaffric a terminé son intervention en disant qu'il ne regarde plus les étoiles de la même manière, et qu'il connait maintenant la solution du paradoxe de Fermi.

J'ai dévoré hier soir les deux premiers chapitres du roman de Liu Cixin Le problème à trois corps . Il y est question d'un radar. S'agit-il d'une allusion au radiotélescope FAST inauguré le 26 septembre 2016 ? En attendant qu'il soit pleinement opérationnel, des nouvelles du radiotélescope d'Arecibo plutôt rassurantes ont été publiées cette semaine [8] [9] [10]. L'apocalypse a l'air d'être repoussée de quelques jours...

  1. Liste des membres du comité SETI  : https://iaaseti.org/en/members/
  2. Présentation de l'IAA en français.
  3. Making Human a multiplenary species (IAC 2016).
  4. Abel Mendez
  5. Ed Rivera-Valentin
  6. Disconnected by disaster. Photos from a battered Puerto-Rico
  7. Arecibo observatory PR Staff Aid
  8. Damage to Puerto Rico less than feared.
  9. New questions about Arecibo's future swirl wake hurricane maria
  10. Puerto Rico's Arecibo radio telescope suffers hurricane damage
  11. A propos de Tesla
  12. Jason T Wright, Michael P. Oman-Reagan, Visions of Human Futures in Space and SETI, arXiv:1708.05318 [physics.pop-ph]
  13. The Future of Humanity with Elon Musk
  14. 2015 Hugo Award.

Commentaires