Au-revoir mamie !

Une grande dame vient de nous quitter, c'est ma grand-mère Yvette. C'est de sa faute si j'étais indisciplinée lors de ma première année d'école maternelle (enfin, c'est ce que l'on m'a dit). C'est grâce à elle si je comprends le patois bressan, si je connais la recette du gâteau vite-fait, ou si très jeune, j'ai entendu parler de résistance et de courage.


Elle avait 16 ans en 1939, quand la guerre a éclaté. Pendant mon enfance, elle m'a raconté la ligne de démarcation qui passait pas très loin, les pièges tendus par les allemands à Lons-le-Saunier, le maquis, etc, etc... J'ai l'impression d'avoir toujours su qu'il y avait eu une guerre et de la résistance en Bresse, avec des anecdotes que l'on relatait en boucle et d'autres que l'on cachait.

Pendant les vacances, elle partait à vélo de Gerans, petit hameau de Sens-sur-Seille pour venir nous chercher à St-Germain-du-Bois. Nous repartions à bicyclette passer une semaine à la ferme. Son jardin fleuri était l'endroit le plus merveilleux au monde. Nous guettions la sortie des premières perces-neige, puis des fraises. Ensuite, c'était une explosion de couleurs entre les rosiers, les dahlias, les glaïeuls et les rhododendron. J'ai voulu revoir ce jardin en 2008, la nature avait repris le dessus. Il avait conservé l'aspect sauvage de nos parties de cache-cache, mais personne ne s'était préoccupé de l'entretien depuis longtemps.

A une époque où les réseaux sociaux n'existaient pas, partout, nous nous sentions en liberté. On savait qu'ici habitait le grand-oncle untel, que la maison plus loin était celle de la femme du fils de monsieur x qui avait épousé y. Ah oui, et puis cette dame là, c'était aussi une cousine éloignée. On pouvait traverser les champs, aller chercher notre grand-père qui pêchait un peu plus bas, rien ne nous arriverait. Nous nous sentions libres, partout chez nous, avec comme seule angoisse celle de rencontrer le chien d'untel qui n'était pas attaché.


Le samedi, elle patientait des heures sur la place du marché de Saint-Germain pour vendre les œufs, le lait, la crème et le beurre. Elle connaissait tout le monde, discutait avec tout le monde, à la recherche surtout de bonnes nouvelles comme des naissances, des mariages... Je ne me souviens pas l'avoir entendu dire du mal de qui que ce soit, si ce n'est des allemands pendant la guerre. Les commérages, elle les ignoraient, les rejetaient d'un "Bof" pour passer à un sujet plus positif.

Je n'ai jamais réussi à lui cacher les moments où je n'étais pas très bien. Elle avait une empathie incroyable, sentait quand on ne disait pas tout, et bien sûr s'inquiétait. La première fois que je suis partie en stage en Allemagne pendant un mois, j'ai senti chez elle une angoisse que je n'avais jamais connue. J'ai compris à quel point la guerre l'avait marquée à jamais.


Elle a sans doute beaucoup souffert, par exemple parce que mon grand-père Raymond était plus râleur que moi, mais je ne l'ai jamais entendu se plaindre. Elle savait profiter de l'instant présent, surtout en présence de ses enfants, petits-enfants et arrières-petits enfants. Son trésor, c'était des tas de photos, jaunies ou plus récentes et des centaines de cartes postales. Elle en envoyait à chaque anniversaire. Chaque fois le bonheur y rayonnait. 

C'est sans doute grâce à ce trésor, que j'aime prendre des photos pour garder une trace. Ce blog aussi, c'est un bout d'instant présent, comme une carte postale, une carte d'anniversaire, qui marque un petit arrêt sur un instant donné, qu'il s'agisse d'une journée bien précise, ou d'une période de vacances.

Je suis passé lui rendre visite dans son appartement aux Tilleuls à St Germain du Bois, il y a quinze jours. Heureuse de nous voir, elle semblait en pleine forme. J'avais l'impression qu'elle serait toujours là, vaillante, forte, courageuse comme elle l'a toujours été. Apprendre son décès fut un choc. L'éternité n'existe pas. Son sourire va me manquer. Grâce à elle, je resterai indisciplinée... 

Des comptines flottent dans ma tête... Elles sont éternelles...
Trotte trotte mon bidet, pour aller à l'Etalet,
Trotte trotte ma jument, pour aller à l'Abergement,
Chercher du pain blanc, pour maman qu'a mal aux dents.
C'est la fille de monsieur l'maire
Qu'est mariée avec Thomas,
Elle a perdu sa jarretière
En ôtant, le haut d'ses bas
Ah lève donc, lève donc la gigue
Ah lève donc, lève donc le pied...


Cocorico,
Qu'as-tu poulot ?
La patte cassée
Qui t'la cassée ?
La Dorothèe.
En quoi f'sant ?
En migeant son bié.
Y'est bien fait, t'avo qu'à pas y'aller.
Indépendante, elle vivait des produits de la ferme, nous tricotait des pulls, avait une impressionnante machine à coudre, et réparait toujours tout... Et si le bonheur, c'était ça, faire soi-même,  profiter de l'instant présent, avancer avec les souvenirs des bons moments ? Nous trônions en photo dans sa cuisine à différents âges enfants, adolescents, parents... Malgré la distance, nous étions là. Finalement, sa photo aussi sera toujours là.



Commentaires

Olivier Auber a dit…
Tu es bien jeune. Ma mamman est plus âgée.