Les plus faibles lumières de l'univers

Le livre "The smallest lights of the universe" de Sara Seager fait partie de ceux dont je lis régulièrement des éloges de la part d'astrophysiciens ou de personnes intéressées par SETI. Il est sorti en 2020, et j'ai remis sa lecture à plus tard, quand j'aurais le temps, quand la pile de choses à lire à côté de mon lit sera plus basse, etc, etc...  Or, le 7 avril, j'ai eu la surprise de voir au Jardin de Thierry un livre de Sara Seager intitulé "Seuls dans l'univers" bien exposé au rayon sciences [1].


S'agissait-il d'un nouveau livre de Sara Seager, dont je n'avais pas entendu parlé ? En fait, non, c'est la traduction du livre "The smallest lights of the universe". Si je traduis mot à mot : "Les plus petites lumières de l'univers".  

Ma première réaction a été de me dire que ce n'était pas possible... Il manque au minimum un point d'interrogation. Seuls dans l'univers ? Il s'agit d'une question dont personne ne connaît la réponse. Peut-être qu'un autre titre n'aurait pas attiré mon attention, et le nom "Sara Seager" est écrit en tout petit, alors qu'il s'agit de l'une des astrophysiciennes les plus influentes au monde. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est le Times en 2020 [2]. 

Commercialement parlant, le point d'interrogation n'est peut-être pas utile. L'absence de ponctuation va attirer à la fois ceux qui espèrent que nous ne sommes pas seuls dans l'univers, et ceux qui portent une armure et se cachent derrière un bouclier dès qu'ils lisent le mot "extraterrestre", qu'il s'agisse de science-fiction ou de la plus petite bactérie, voire une molécule.  Sara Seager n'est pas de ceux-là. Page 57, elle écrit : 
La plus grande découverte que pourraient faire les astronomes est celle d'une autre forme de vie dans l'Univers. Nous autres humains scrutons le ciel à la recherche d'une réflexion de nous-même depuis des siècles, de quelqu'un ou de quelque chose de vivant sur une autre Terre : voilà le rêve ultime. 
Sara Seager fait partie des auteurs de l'article sur la phosphine de Vénus [3] qui avait passionné les astronomes en septembre 2020 [4]. J'avais été choquée par la virulence des attaques de chercheurs  français à son égard. Il y avait eu un embargo. J'ai été étonnée qu'ils n'aient pas pu lire l'article que Nature avait  mis à disposition des journalistes et que la plupart des exobiologistes anglophones avaient pu parcourir avant le rodéo médiatique. Ils avaient découvert l'information lors de la conférence de presse, en même temps que les citoyens. Le combat pour que la recherche de signatures biologiques et technologiques existe depuis toujours. En 2008, à l'UNESCO, Jill Tarter avait illustré cela en plaçant SETI sous le parapluie de l'astrobiologie [5]. 

J'avais complètement oublié l'époque où, quand on disait à quelqu'un qu'il n'y avait aucune raison pour que le soleil soit la seule étoile avec des planètes autour, on se heurtait à des regards hostiles. Sara Seager a débuté sa carrière à ce moment là. Elle décrit ses hésitations d'étudiante de troisième cycle avant de s'engager dans cette recherche de planètes : 
J'allais étudier des corps célestes dont une grande partie de la communauté scientifique, lorsqu'elle ne  rejetait pas complètement leur existence , se moquait éperdument [..] Comment pourrions-nous détecter la fine enveloppe d’atmosphères extraterrestres alors que nous ne parvenions pas à voir ces mondes eux-mêmes ?
Si certains chercheurs sortent un parapluie dès que l'on parle de vie extraterrestre, c'est peut-être la conséquence de ces années de luttes à faire accepter leur quêtes d'exoplanètes par leurs collègues. Sara Seager était revenue sur cette biosignature et sur la controverse en novembre 2020 lors d'une passionnante discussion [5] (avancer de 2h40). Quels sont les gaz produits par la vie sur Terre ? Tous ? Il y a quelques exceptions... La phosphine fait partie des gaz qui ne peuvent être des signatures de la vie. 


Dans le livre "Seuls dans l'univers", elle parle aussi beaucoup de la difficulté d'être femme. Elle raconte une série d'entretiens en vue d'obtenir un poste dans diverses universités américaines dont celle de la Colombie-Britannique (UBC) : 
Au début de ma visite, j'avais dû écouter des professeurs masculins plus âgés saliver en se remémorant une grappe d'étudiantes en licence qu'ils avaient repéré la veille lors d'une conférence. A l'exception des personnes qui m'avaient invitée, personne dans le département n'a montré un quelconque intérêt pour les exoplanètes. 
A la fin de sa carrière, on l'invite à faire partie de comités prestigieux à la NASA, mais avec des déplacements réguliers. Les hommes n'avaient pas imaginé une seule seconde que ce genre d'exigence peut être problématique [7]. Or, quand on se retrouve seule avec deux enfants suite au décès de son époux, s'absenter pendant plusieurs jours est difficile. Sa réponse a été :
Arrêtez de confondre les scientifiques et les astronautes. Le désir d'observer l'espace et celui de s'y rendre sont bien distincts, et tout le monde n'est pas prêt à sacrifier autant pour atteindre son but.
Sara Seager parle du deuil dès le début du livre. L'histoire des exoplanètes et celle de Mike s'entremêlent. Si on se place du côté ténébreux, le titre "Seuls dans l'univers" se comprend aisément. Elle évoque discrètement l'autisme détecté alors qu'elle avait une quarantaine d'années. Elle a beaucoup de recul sur le deuil, ce qui rend certains passages hilarants. Les veuves de  Concord sont géniales et plusieurs scènes relèvent de la comédie ! 

Les mémoires de Sara Seager sont surtout un vibrant hommage à Mike. Elle lui donne vie à travers les pages, on a l'impression de le connaître, l'impression qu'on pourrait le voir demain descendre une rivière en canoë. Sa quête de vie dans l'univers est aussi une réflexion sur la mort. 
"Et puis parfois, nous trouvons quelque chose en étudiant ce qui ne peut pas exister sans cette chose. [..] L'astronomie est hantée par le présence de ce que nous ne pouvons voir. En cela, l'astronomie est comme le deuil. Comme l'amour. "

 

  1. S Seager, Seuls dans l'univers, Les Presses de la Cité, 03/2022
  2. The 25 most influential people in Space
  3. Greaves, J.S., Richards, A.M.S., Bains, W. et al. Phosphine gas in the cloud decks of Venus. Nat Astron (2020). https://doi.org/10.1038/s41550-020-1174-4
  4. E. Piotelat, Sans les nuages de Vénus, 09/2020
  5. E. Piotelat, UNESCO Jour J, 09/2008
  6. Berkeley SETI, Life the Universe
  7. S Seager, So Many exoplanets... So few women scientists, Huffington Post, 2013

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