Derrière le blob, la communication

Une critique souvent entendu contre SETI@HOME était liée à la passivité de l'utilisateur analysant des signaux à la recherche de signatures technologiques. Ce n'était pas vraiment de la science participative, parce que le citoyen ne faisait que prêter la puissance de calcul de sa machine. En 1999, j'avais été un peu déçue de voir surtout des gamers comparer leur résultat, et très peu discuter de transformée de Fourrier. Cependant, cela a donné naissance à la plateforme BOINC, qui est utilisée dans de multiples autres domaines de recherche.  Il y a cependant eu des publications scientifiques liées à SETI@HOME [3]. Je doute qu'une publication liée aux 15000 volontaires de l'expérience de science participative "Derrière le blob la recherche" puisse être acceptée par des experts en biologie. Le seul intérêt pourrait être en sociologie, et encore. A part une vaste opération de communication, je ne vois pas trop à quoi ça peut servir. 

J'ai eu la puce à l'oreille en étant contactée par une photographe, qui recherchait des participants pour le ministère de la culture. J'ai aussi vu plusieurs articles de presse mettant en avant des individus et pas le blob, ou les résultats de l'expérience chez eux. Bref, les souris de laboratoire, c'est nous les 15000 participants. L'objet de l'étude, ce n'est en aucun cas le blob. D'ailleurs, Lujanne d'arc est morte avant d'avoir commencé à subir la moindre vague de chaleur. Ce matin, j'ai retrouvé les boîtes E7 et E8 telles que je les avais laissées la veille. 


J'avais remarqué que Lujanne d'arc (version J5) avait délaissé certains flocons d'avoine pour explorer le couvercle de la boîte de Pétri E3. 


J'ai enlevé les flocons non consommés pour les remplacer par des nouveaux, mais... elle n'y a pas touché. 


Hygiène aléatoire

Pourquoi Lujanne d'arc est-elle morte ? J'avoue ne pas avoir systématiquement lavé à l'alcool le couteau et le bouchon d'Orangina entre chaque manipulation, même si je les ai lavés à la javel chaque soir. Un microbe a pu se faufiler.

La gélose était-elle trop vielle ? Lujanne a mis un jour de plus à se réveiller [4], ce qui était prévu dans le protocole. Mais la gélose est restée un jour de plus au frigo. Aurais-je dû en refaire ?

Lujanne d'arc étant décédée avant même la première vague de chaleur, quelle conclusion pourrais-je tirer à partir de mon échantillon ? Comment savoir s'il y a un lien de causalité entre la chaleur et le développement du blob, ou si c'est juste un problème d'hygiène ? Mon petit doigt me dit qu'en laboratoire, ils ne font pas sécher des boîtes de Pétri sur un torchon Van Gogh avec des perruches qui survolent de temps en temps la table.


Scientifiquement, il ne fallait faire varier qu'un seul paramètre, la chaleur. C'est pour cela que tous les participants devaient utiliser la même marque de flocon d'avoine et d'agar agar. Or, il y a 15000 environnements différents, avec des poussières dans l'air, des crêpes ou des  pousses de tournesol dans la cuisine. 

Ethique

Même si 99% des 15000 volontaires sont plus à cheval que moi sur le ménage, la forte probabilité de présence de microbes chez des particuliers devrait invalider toute publication scientifique utilisant les données renvoyées. Je ne parle même pas des questions d'éthique ! Si les 15000 volontaires sont de bonne volonté, c'est facile d'enterrer un blob mort sous la table et de renvoyer des données fantaisistes. Par exemple, je peux me prendre pour Victor Frankenstein et recréer un blob avec un assemblage de cadavres, pour faire comme si de rien était. 


Je peux être honnête et noter ce que j'ai fait, envoyer des photos. Là aussi, 15000 volontaires vont envoyer 24 photos par jour, soit pour une expérience de 5 jours 120 photos. Si tout se passe bien, les scientifiques recevront donc 1,8 millions de photos. J'imagine qu'un logiciel va éliminer automatiquement celles qui ne ressemblent pas à la pleine lune, donc la photo ci-dessus. Mais les "enfants" de ce blob-là ressembleront à la pleine lune, et devront aussi être éliminés. Mieux vaut que je ne les envoie pas et que je garde l'expérience pou moi, quitte à passer pour une mauvaise élève.

Température

S'il y a 15000 volontaires, il y a aussi 15000 boîtes en carton différentes, avec des variations de température à l'intérieur. Pour la boîte "contrôle", celle qui est à la température de la pièce, la température est homogène, peu importe l'épaisseur de carton. Mais il n'en va pas de même pour celle qui est sous la lampe à chaleur. Si je place deux thermomètres, un tout en bas et un au-dessus des boîte de Pétri, j'ai 2°C de différence de température. 

Le protocole 10 impose d'avoir 28°C pendant 48 heures. Un chercheur à qui j'ai exposé mes difficultés m'a suggéré d'avoir un Arduino qui contrôle la température en éteignant la lampe dès que les 28°C étaient atteint, et de limiter la dispersion de chaleur. Je lui ai fait remarquer que les biologistes ne risquaient pas d'imposer un arduino aux 15000 volontaires. 


Dans un laboratoire, il suffit de régler une étuve à 30°C pour avoir une température homogène. La thermodynamique et la trigonométrie niveau troisième (le théorème de Pythagore) nous indiquent que la température varie en fonction de la position de chaque boite de Pétri dans la boîte. J'ai dressé la courbe de la variation de température en fonction de la distance, mais juste à la verticale. Il faut un certain temps pour que le thermomètre se stabilise. Quand je l'ai fait, il y a 15 jours, il faisait 22°C dans la pièce. Là, c'est plutôt 20°C, et il aurait fallu que je recommence, mais Lujanne d'arc était déjà en train de grandir et de mourir dans la boîte qui devait rester à température ambiante (et je n'avais pas de troisième boîte identique).   


Sur les côtés, le rayonnement de la lampe est différent, et cela dépasse largement les 0,5°C autorisés par le protocole. Le fait d'avoir un couvercle en carton permet de réduire cet écart, mais le protocole autorise un simple tissus afin d'éviter d'avoir à rapprocher la lampe trop près de la boîte et de mettre le feu. 


Consommation

Ecologiquement, laisser une lampe de 75W allumée pendant 48 heures n'a aucun sens, même s'il s'agit de contribuer aux alertes sur le climat du GIEC. Moi qui n'aime pas faire la vaisselle, je pourrais aussi mettre en avant la consommation d'eau pour laver 24 boites de Pétri chaque jour. 

Donc moi, simple volontaire sans expertise en biologie, j'aurais des arguments pour refuser une publication scientifique qui utiliserait ces données. Je n'ai aucun doute sur le fait que des experts auraient d'autres reproches. 
 

Expérience de communication participative

Dans les forums sur SETI@HOME ou BOINC, tout le monde a été libre de s'exprimer [5]. Ce sont même les commentaires sur les graphiques de Planet Hunter X qui ont permis de nouvelles découvertes [6]. 

J'ai été étonnée que Facebook soit utilisé pour rassembler les participants [7]. Les directives du CNRS préconisent d'éviter de communiquer des données de recherche sur des réseaux autres que ceux mis en place par les équipes de la DSI. Le plus étonnant est que la communication est dérouillée. J'ai voulu poster un message pour alerter sur les ruptures de stock de boîte de pétri. Il n'a jamais été diffusé. Dès le début, il m'a mis très mal à l'aise. 

Twitter permet de s'exprimer plus librement. J'ai été surprise de voir que le compte du CNRS avait aimé tous les tweets mentionnant #BlobCNRS (dont les miens) alors que les inquiétudes sur le réchauffement climatiques des scientifiques comme Valérie Masson-Delmotte (climat) [8], Claire Mathieu (mathématique) [9], Frédéric Restagno (physique) [10] ou Emmanuelle Frenoux (informatique) [11]  ne sont pas l'objet de tels encouragements. 

Aimé par le CNRS et tendances le 23 avril

Il y avait eu un webinaire au mois de mars, et j'avais été étonnée par le peu de scientifiques par rapport aux communicants. Je n'avais jamais vu ça en astronomie, et encore moins sur SETI, où j'avoue connaître très peu de "chargés de communication". 

En commençant le protocole expérimental ce matin, je me suis rendue compte que ce qui prenait 20 minutes en théorie m'a pris deux heures. Préparer les boîtes de pétri, marquer un très à 3mm du bord pour doser la gélose, marquer le haut, le bas, m'a énervée au plus haut point hier soir. Je n'ai plus l'habitude d'utiliser un crayon, et ce genre de tâche pouvait difficilement être automatisée, même en imprimant et découpant des étiquettes. 

Comme ce n'est pas vraiment de la science, les volontaires ne prennent pas le job d'étudiants ou de techniciens qui auraient été recrutés par le CNRS sans eux. 



Je me suis souvenue de discussions entendues dans le bus par des techniciens de laboratoire en sous-effectifs, des doctorants en biologie obligés de faire la vaisselle faute de personnel. La biologie a quelque chose d'ingrat et de rétrograde... Non mais, qui utilise encore des crayons aujourd'hui ? 


J'ai également eu une pensée pour les pharmaciens qui passent leurs journées à faire des tests COVID. Ils répètent toujours les mêmes gestes. Au début, le résultat arrivait en 20 minutes. Le 29 mars, j'ai dû attendre plus de deux heures pour recevoir le SMS et quand j'ai essayé de me connecter à 19h30, le site SIDEP n'a pas été disponible avant 20h15. En échangeant avec la pharmacienne, elle m'a expliqué qu'il lui fallait trouver le temps pour rentrer tous les résultats. 

L'expérience de communication participative aura au moins le mérite d'informer les citoyens sur le côté pénible et ingrat de certains métiers liés à la biologie. Est-ce que quelques "like" motiveront les 15000 rats de laboratoire que sont devenus les volontaires ? J'en doute... 

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