Harcèlement ? CQFD !

Ce week-end, l'hôtesse d'Euler a fait une démonstration brillante, éblouissante, impressionnante de la manière de lutter contre le cyber-harcèlement, en arrosant ceux qui négligent ce phénomène pour qu'enfin ils soient dans la peau des victimes.


Tout est parti d'un article  dont deux extraits m'ont fait bondir...

Extrait 1 : 

Pour Stéphanie de Vanssay, conseillère technique chargée du numérique à l'UNSA Education, Periscope n'est qu'un "outil moderne à disposition des élèves qui s'ennuient et qui veulent s'amuser, comme on s'envoyait des craies ou des petits mots avant". "Dans la grande majorité des cas, il n'y a rien de choquant, affirme-t-elle. Les grands collégiens ou lycéens se filment en train de faire les zouaves, ce n'est pas acceptable mais ce n'est que potache, que des défis."

Extrait 2 : 

Cet avis est partagé par Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN, le syndicat des proviseurs d'établissements. "C'est un sujet qui n'en n'est pas un, explique-t-il. Ce phénomène est minoritaire, c'est la forme moderne du comportement des adolescents"

Il y a plein d'autres exemples et points de vue dans cet article, résumé par la carte ci-dessous. Les interventions de Thomas Brissaire montrent beaucoup de bon sens !




Craie et petits mots

Comment une personne ayant pour titre "conseillère technique chargée du numérique" peut-elle ne pas faire de différence entre un petit mot et une application qui diffuse des vidéos en direct (ou presque).

Prenons un ensemble appelé Classe, dans lequel on place 4 élèves A, B, C, D et un prof P.


Si A et B s'échangent un petit mot (au hasard #TaGueuleC), ni C, ni D, ni P ne le verront à l'instant t de l'échange, ni le lendemain.
Si B jette une craie sur C, A D et P seront témoins ou pas, mais l'événement ne sortira pas de la classe.

Admettons maintenant que D ait un téléphone portable dans sa trousse, se filme et diffuse les images à x personnes qui sont présentés sur ce réseau à l'instant t. 


Le premier problème est que les x personnes vont commenter en direct ce qui se passe. Si l'une écrit "Ta gueule C" et l'autre "Bien vu le lancé de craies sur C", il y aura x + 1 lecteurs (D et les gens connectés).
Si chaque personne extérieure invite y autres personnes, on aura (x * y) témoins du harcèlement qui vont à leur tour commenter.



Pas besoin d'avoir 20/20 à l'épreuve de math du brevet des collèges pour comprendre que x * y va vite être supérieur à 30 (il suffit que 10 personnes invitent chacune 3 autres personnes), et que les 100 vont aussi être rapidement dépassés si chacune des 30 personnes invite tous ses abonnés.

Grâce à l’hôtesse d'Euler, notre conseillère technique chargée du numérique s'est rendu compte du succès d'un mot-dièse (alors que seuls 209 utilisateurs sont entrés dans la danse).

Le traitement en interne évoqué par le proviseur n'est plus possible. J'ai pu suivre les échanges alors que je ne suis pas prof, que je ne fais pas partie de l'UNSA. Et même s'il était possible, il n'a aucun intérêt. Exclure D ne fera que pousser la totalité de l'établissement à rechercher ses diffusions sur Periscope, au grand détriment de C.

Potache ou couteau ? 

Suite à cet article, Princesse Soso a publié un billet de blog où elle définit l'humour Potache et donne son avis sur #TaGueuleC. Au moment où B écrit ce mot, rien ne permet de savoir s'il s'agir d'humour potache ou d'un coup de couteau dans le dos de C. Tout dépend du ressenti de C comme l'illustre ma fille ci-dessous :
Iris planta le dernier coup de couteau dans le ventre d'Amine, sa camarade de classe.

- Vous êtes fière de moi, je vous ai obéi à présent maîtresse ?

- Quoi ? balbutia l'institutrice tétanisée...

- Vous avez dit de prendre exemple sur Amine, qui me harcelait. Or chaque insulte est un coup de couteau dans le ventre, je n'ai fait qu'obéir.

Elle creva les yeux de l'institutrice et des autres élèves en plantant ses dagues dans les oreilles de quatre élèves. 

- Vous ne voyez rien, vous n'entendez rien.  

Nora vit se spectacle et cria : 

- Iris, viens avant de te faire prendre. 

- Qui es-tu ?

- Nora, je voyage à travers les univers.

Le fait que #Harcèlement apparaisse dans son tweet, démontre que la conseillère technique a enfin compris où était le problème de l'utilisation de Périscope en cours, ou de manière plus générale de propos, d'images, peu flatteurs pour la victime, qu'il s'agisse d'un élève ou d'un enseignant.

Cependant, le doute persiste. Par exemple, l'hôtesse a effacé tous ses messages utilisant ce #TaGueule alors que l'intéressée diffuse des statistiques et alimente le débat tout en prétendant ne pas vouloir réagir à chaud.


Violence psychologique

Périscope, Twitter, Youtube ne sont que des outils, comme un marteau ou un tournevis. On peut construire des choses formidables avec (cf Nuit Debout), mais on peut aussi détruire une personne (cf l'avis d'Aristote sur Facebook).  Par exemple, sur Twitter, on trouve le compte de Nora Fraisse, la maman de Marion qui s'est suicidée suite à du harcèlement.

Dans leur livre "Harcèlement et cyberharcèlement à l'école : Une souffrance scolaire 2.0", Betrand Gardette et Jean-Pierre Belon  s'interrogent sur la manière de quantifier le harcèlement. Ils aboutissent à la conclusion que la seule chose à prendre en compte, c'est le ressenti de la victime.

Un même comportement (par exemple #TaGueuleC) pourra donc être ressenti comme
- vulgaire (j'aime bien les tontons flingueurs)
- drôle (il y a quelques tweets pas piqués des hannetons)
- assez vrai
- inadmissible


Mais ce n'est pas parce que 79% le jugent "assez vrai" que ce n'est pas du harcèlement, tout dépend du ressenti de la personne visée. En revanche, compte tenu de ses propos "ce n'est que potache, que des défis", on peut comprendre le coté libérateur de voir un tel déni du harcèlement condamné (vous ne voyez rien, vous n'entendez rien).

Comportement d'ado ? 

Les propos de Philippe Tournier sont tout aussi inadmissibles. Tout d'abord, parce que le numérique ne va pas sans une protection de la vie privée. En tant que proviseur, en théorie, il sait qu'il n'a pas le droit de diffuser des photos de ses élèves sans l'accord de leurs parents.

Comment dans ce cas, peut-il accepter que des enfants qu'il a sous sa responsabilité filment et diffusent des images de leurs camarades et des enseignants, souvent sans avertir la victime ? EDUCATION... Par exemple, plusieurs périscopeurs à Nuit Debout ne filmaient pas les visages, ou demandaient systématiquement le droit à leurs interlocuteur de les "montrer".

Que cette éducation aux médias (et plus généralement au smartphone) soit faite par les parents en priorité me semble normal. Ca commence en général quand l'enfant est très jeune. On peut lui demander s'il est d'accord pour que telle photo de lui soit envoyée à sa grand-mère, avec les conséquences qu'il connait : la photo sera sur le buffet, donc vue et commentée par toute la famille "Il a grandi ! Il a le nez de sa mère, etc, etc..."

Comment peut-il accepter le fait que ce soit une "forme moderne du comportement des adolescents" ? Sont-ils au-dessus des lois pour ne pas respecter le camarade de classe ou menacer de frapper le professeur ?

CQFD

La première fois que j'ai été interrogée par un journaliste, c'était à TF1 à propos de SETI@HOME, en 1999, j'avais été extrêmement déçue. J'avais raconté plein de choses passionnantes sur la Transformée de Fourrier et le programme SERENDIP qui n'avaient pas été diffusées dans le 13h.
J'en avais parlé à Paul Shuch, président de la SETI League, qui m'avait donné ce très bon conseil : "Tu fais des phrases courtes : pas plus de 5 mots, 12 syllabes". J'avais trouvé ça extrêmement réducteur (les 140 caractères de twitter n'existaient pas à l'époque), mais il a raison. Le boulot de journaliste consiste à découper l'interview pour ne garder que ce qui lui est utile. Autant lui faciliter la tâche en produisant des puzzles pré-découpés.

Je n'ai aucun doute sur le fait que les propos des personnes interrogées aient été plus nuancés, que ce qui a été retranscrit. Mais quand on est "conseillère technique chargée du numérique" ou proviseur, il doit être facile de trouver des blogs, des sites, sur lesquels exprimer la complexité de ses propos. Il m'arrive de temps en temps de retranscrire ici ce que j'ai dit à un journaliste (par exemple pour l'Obs).


Ici viendra le lien vers la réaction à froid : http://www.2vanssay.fr/situationsmotivantes/?p=6110

En attendant, merci aux 185 * 79% = 146 personnes qui ne sont pas restées silencieuses face au harcèlement vu comme "humour potache", et surtout merci à l'hôtesse d'Euler pour cette magnifique initiative.

Tout mon soutien à toutes les victimes de harcèlement. Qu'elles n'hésitent pas à s'exprimer en commentant ce billet ! Courage à vous ! C'est dur de recevoir des coups de couteau, mais gardez espoir !

 Was mich nicht umbringt, macht mich stärker.
Friedrich Nietzsche.


Mise à jour le 3 juillet :

(*) Nous ne nous tairons pas ! : billet volontairement différé pour être écrit à froid. "Je n'ai parlé que de ce que j'ai vu moi-même"... Mais bon, ce n'est pas parce que je n'ai pas vu d'extraterrestres en visant Andromède avec ma lunette astronomique, que la vie n'existe pas ailleurs dans l'univers. Le harcèlement, le cyber harcèlement, ça existe ! 

Lire aussi le billet très complet avec plein de références de Michel Guillou : "Périscope, un cheval de Troie ou une chance pour l'école" (avec lequel je ne suis pas vraiment sur la même longueur d'onde comme en attestent mes commentaires).

Et aussi à propos des insultes de cours de récréation, le blog de Stéphane Bortzmeyer

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