Khazra

La semaine dernière, vers 16h, deux hommes en civil ont sonné au portail de l'école maternelle des Avelines 3 aux Ulis et ont demandé à voir la directrice. Ils venaient l'informer que deux petites filles et leurs parents étaient à l'aéroport d'Orly en partance pour le Pakistan.


Quand j'ai entendu le mot "Pakistan", je me suis souvenue d'une sortie d'école en juin dernier. J'étais venue chercher Sonia à 16h30. Une fois le portail de l'école franchi, Sonia est allée s'asseoir à côté de Khazra qui prenait son goûter accompagnée de sa grande soeur. Elles ont échangé des sourires. J'ai entamé la conversation avec la maman qui tenait une poussette :
- "Elles s'entendent bien !
- Oui !
- De quel pays êtes vous originaire ?
- Du Pakistan
- C'est un grand pays. Mon frère l'a traversé pour aller en Inde.
- Et elle est d'où ? a demandé la maman en regardant Sonia.
- Son père est du Burkina Faso."

Nous sommes reparties chacune de notre côté. J'aurai voulu lui dire tout ce que Khazra a apporté à Sonia et la remercier... mais après nous être croisées toute l'année dans la salle de classe, après avoir échangé souvent des salutations, ce n'est pas facile d'aller plus loin.

Sonia a tenu correctement son crayon pendant les vacances de Noël, sans doute suite aux remarques "d'une grande de primaire" qui s'était moquée d'elle. Quelques semaines plus tard, je lui ai fait remarquer "tiens, sur ton dessin, on dirait un S, tu veux écrire Sonia ? Qu'est-ce qui vient après ? 0 !". Elle a ainsi écrit son prénom toute seule, sans que je lui tienne la main. Miracle ?

Les jours suivants, j'ai récupéré des dessins faits à l'école avec le prénom écrit de temps en temps de gauche à droite, de droite à gauche, ou en miroir. En déposant Sonia le matin, j'ai remarqué qu'une petite fille remplissait sa page avec son prénom "KHAZRA" écrit systématiquement dans le bon sens. Impressionnant !
L'enseignante m'a dit qu'il y avait 5 ou 6 enfants de petite section à savoir écrire leur prénom; que c'était rare à cet âge là.

Un soir Sonia m'a demandé "Dis maman, comment est-ce que l'on écrit Khazra ?
- Euh, je ne sais pas, je vais voir sur la photo de classe."

J'ai recopié les lettres "K H A Z R A"... Hum, c'est difficile !

Quelques jours plus tard, alors qu'elle était très fatiguée, elle s'est mise à pleurer après l'histoire du soir "Je ne veux plus aller à l'école. On fait des choses trop compliquées...
- Quoi ?
- J'arrive pas à écrire le prénom des copines !
- Mais ce n'est pas la maitresse qui dit de faire ça.
- Non !
- Et il y a des copines qui savent écrire ton prénom ?
- Oui Khazra..."

J'en ai parlé à l'enseignante qui m'a alors expliqué que les filles de la classe jouaient à celle qui écrirait le plus de lettres, tout en sachant que ce n'était que du dessin pour l'instant. Elles ne faisaient que recopier un motif.

J'ai rassuré Sonia en faisant l'éloge de la différence. Toi aussi, tu sais certainement faire des choses que Khazra ne sait pas faire. Elle ne savait peut-être pas ce qu'était une éclipse avant que tu l'expliques à toute la classe. Mais je sentais toujours une espèce de frustration...

En ce début d'année scolaire, en classe de moyenne section, Sonia a commencé par faire des H sur les dessins que je récupérais le matin dans son casier. H comme dans Khazra ?

"Les dossiers des sans-papiers seront examinés au cas par cas" ai-je entendu à la TV. Quelle meilleure preuve d'intégration que cette petite fille calme qui encourage ses copines à écrire les lettres de notre alphabet ? Le père, qui a un emploi, peut rester en France, mais ni les enfants, ni la mère. C'est révoltant !
Quelle administration, quel juge peut être aussi inhumain au point de séparer une famille ?
Khazra aura-t-elle le droit d'aller à l'école au Pakistan ?

Tout cela me semble à la fois triste et injuste.

Commentaires

Anonyme a dit…
très émouvant , très révoltant!!!
Espérons que la jeune KHAZRA s'en sortira.
Anonyme a dit…
Entièrement d'accord avec toi... On aurait dû expulser le père aussi pour ne pas séparer la famille... Mais heureusement il y a des lois... Des jeunes Khazra, il y en a dans le monde entier, si il y avait un moyen pour accueillir tout le monde je serai le premier mais ça n'est pas possible alors si tu as quelque chose à proposer...
Elisabeth a dit…
Dans le cas présent, je ne vois pas pourquoi il serait impossible d'accueillir "tout le monde" (c'est-à-dire la famille complète) en France, vu que c'était le cas depuis au moins un an... que les enfants sont bien intégrés, etc...

On ne va quand même pas reprocher à une maman de rester à la maison élever ses enfants (si elle avait eu un travail, elle aurait des papiers).
Anonyme a dit…
Tout d'abord, un premier point c'est qu'il lui est possible de faire venir sa femme et sa fille sur le territoire à condition d'avoir effectué la demande de regroupement et obtenu la réponse avant de les faire venir... Ce qui est tout de même la moindre des choses dans un état de droit.
Deuxième point, un travail ne donne pas les papiers même si la promesse d'embauche joue énormément...
Troisième point, un gamin scolarisé dans une école de la république ne donne pas les papiers non plus.
Quatrième point, peut on parler d'intégration parcequ'un schtroumph travaille bien à la maternelle ?
La vrai question n'est pas "doit on régulariser Kahzra et sa maman ?" car on connait tous de nombreuses Khazra. La vrai question est doit on régulariser tous les gens en situation irrégulière ? et dans ce cas que fait on de nos lois? et je redemande peut on accueillir tout le monde ?
Il est vrai qu'actuellement le mot loi est devenu plus une insulte qu'autre chose. Comment peut on oser nous renvoyer ce mot loi alors que l'on parle d'humanité, de souffrance ?
Peut être parcequ'à un moment ou un autre il faut peut être remettre les pieds sur terre... Les bons sentiments c'est bien mais l'idéal serait de penser à quelques chose de plus constructif...
Elisabeth a dit…
A propos du quatrième point... la notion d'intégration était dans la circulaire. Que ce soit en maternelle ou plus tard, une classe est un ensemble d'enfants -une équipe- qui tout au long de l'année font des effort pour vivre ensemble.

Certains enfants tirent la classe "vers le haut", motivent les copains, donnent le bon exemple. Avec le départ de Khazra, moi, en tant que "maman 100% française", j'y perd aussi. La mixité est une chance énorme pour nos enfants qui découvrent le monde via leurs copains.

A 4 ans, je devais peut-être avoir entendu parler de l'Allemagne via mes grands-parents qui avaient connu la guerre et de la Suisse toute proche. A part l'anglais des chansons, je n'avais sans doute pas conscience qu'il existait d'autres langues que le français.